C'est un exploit de plus pour la Chine. Alors qu'elle avait terminé l'année 2018 en affichant le plus grand nombre de lancements (39, contre 31 américains et 20 russes), elle commence 2019 d'une plus belle manière encore, puisqu'elle vient de poser un rover (véhicule robotisé) sur la face cachée de la Lune, ce jeudi 3 janvier. Une grande première mondiale qui confirme à la fois les ambitions et les qualités de Pékin dans le domaine spatial.
Le véhicule, qui fait partie de la mission Chang'e 4 - du nom de la déesse de la Lune dans la mythologie chinoise - a été propulsé le 7 décembre par une fusée Longue Marche 3B depuis le centre de lancement de Xichang, dans le sud-ouest du pays. Depuis le 13 décembre, il effectuait des tours de notre satellite naturel, notamment pour vérifier que les communications et le transfert de données avec la Terre fonctionnaient correctement. Maintenant qu'il a aluni, il va pouvoir commencer sa mission, à savoir étudier cette partie encore inexplorée de l'astre Sélène et y mener des expériences scientifiques.
"Les Chinois ouvrent une nouvelle fenêtre sur l'Univers"
"Maintenant que les Chinois se trouvent sur la face cachée, ils vont pouvoir déployer des antennes puissantes écoutant l'espace profond, explique Francis Rocard, astrophysicien et responsable du programme d'exploration du système solaire à l'agence spatiale française (CNES). Car de ce côté-ci de la Lune, on est protégé de la pollution radio de la Terre ; en un sens, ils ouvrent une nouvelle fenêtre sur l'univers". La mission Change 4 a également un intérêt géologique. "Le rover a aluni au milieu du bassin Aitken, un cratère affleurant non pas la croûte superficielle, mais le manteau lunaire, si bien que ses examens du sol pourraient apporter leur lot de surprises", ajoute le scientifique français. Chang'e 4 prévoit également de mener des études portant sur la culture de tomates et d'autres plantes.
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Contrairement à la face de la Lune la plus proche de la Terre, toujours tournée vers notre planète, la face cachée n'a jamais accueilli de module d'exploration. Elle est montagneuse et accidentée, parsemée de cratères, alors que la face visible offre de nombreuses surfaces planes pour se poser. Ce n'est d'ailleurs qu'en 1959 que les Soviétiques en ont pris les premières images. Selon le chef de la mission He Rongwei, cité par le quotidien anglo-chinois Global Times, Chang'e 4 constituerait donc "le plus important projet d'exploration spatiale dans le monde en 2018".
L'enfer lunaire, de -173 degrés Celsius à +127
Un des défis majeurs de ce projet a été d'imaginer un moyen de communiquer avec le robot lunaire: comme la face cachée est toujours orientée dans le sens opposé à la Terre, il n'y a pas de "ligne de mire" directe pour transmettre les signaux, sauf à installer un relais. La Chine a donc lancé en mai dernier le satellite Queqiao, positionné en orbite lunaire de façon à relayer les ordres et les données échangées entre la terre et le module. L'autre problématique a été de construire un robot suffisamment puissant pour supporter les températures à la surface. Car si pendant la nuit - qui dure 14 jours terrestres - le thermomètre tombe à -173 degrés Celsius, il remonte à 127° C pendant la journée - également équivalente à 14 jours terrestres.
C'est la deuxième fois que la Chine envoie un engin explorer la surface lunaire après le Yutu (Lapin de jade) en 2013, qui est resté actif pendant 31 mois. Pékin prévoit déjà de lancer l'an prochain un Chang'e-5 pour recueillir des échantillons et les ramener sur Terre. Et les autorités chinoises ne comptent pas s'arrêter en si bon chemin : dès 2020, trois nouveaux lanceurs (Longue Marche 5 bis, 7 et 8) seront mis en service et un Rover devrait être envoyé vers Mars, en réponse aux missions américaine et européenne (Mars 2020 et ExoMars). La même année, Pékin devrait mettre en orbite le module de sa nouvelle station spatiale (CSS), qui devrait être opérationnelle aux alentours de 2022. Elle succédera à la Station spatiale internationale, dont le fonctionnement devrait prendre fin entre 2024 et 2028. Photo prise par l'alunisseur Chang'e 3 montrant le rover Yutu en déplacement, en décembre 2013. Chinese Academy of Sciences/CNSA/The Science and Application Center for Moon and Deepspace Exploration
Les objectifs de la Chine ne s'arrêtent pas là. Pékin a annoncé vouloir survoler l'astéroïde Apophis et atterrir sur l'astéroïde 1996-FG3, à l'horizon 2030. Côté (gros) lanceurs, la Longue Marche 9, imitation de la mythique fusée Saturn V du programme Apollo, pourrait effectuer son premier vol en 2028, une étape incontournable avant de réaliser la démonstration de puissance ultime : déposer des taïkonautes sur la Lune en 2036.
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"Le programme spatial chinois reproduit, en accéléré, très exactement ce que les Américains et les Russes ont fait à partir des années 1970, détaille Francis Rocard. Il n'empêche, je suis très impressionné par leur cadence qui les amène à respecter scrupuleusement un calendrier très serré. En ce sens, le secteur spatial chinois s'impose comme l'un des plus dynamiques au monde". Sans compter qu'avec Change'4, c'est la première fois que Pékin réussit ce qu'aucune autre puissance spatiale n'avait encore jamais réalisé.
Comme un air de guerre froide
Si aucun chiffre officiel n'existe, les spécialistes dont Francis Rocard estiment que près de 200 000 personnes travaillent dans le secteur spatial en Chine. Un effectif comparable à celui employé aux États-Unis. De quoi confirmer, une fois de plus, les impressionnantes ambitions spatiales chinoises. "Il existe une volonté politique, c'est-à-dire avec des visées nationalistes à développer une stratégie en direction de l'espace lointain, abonde l'astrophysicien. Or, ce dernier passe pour les dix prochaines années par la lune qui est un excellent terrain de jeux avant d'espérer aller ailleurs".
L'objectif du président Xi Jinping est clair : son pays doit devenir le leader, et notamment dans le spatial, d'ici à 2049, date du centenaire de la République populaire. De leur côté, les États-Unis ne comptent pas abandonner la partie. Donald Trump a d'ailleurs largement révisé les objectifs de l'Agence spatiale américaine (NASA) en annonçant qu'il fallait renvoyer des astronautes sur notre satellite, et même, pourquoi pas, y construire une base, avant de planter un drapeau sur Mars. La course entre les deux géants ne fait que commencer.
AFP Express