Par Me Jemal Taleb
Vous ne me croirez pas, mais tout ceci se passe au vingt-unième siècle, pas au Moyen Âge. Nous sommes à une ère où le refrain le plus courant de l’opposition mauritanienne en particulier, le préambule de toutes les constitutions, est que tous les hommes naissent égaux.
Nous sommes bien à l’époque où une certaine opposition de notre pays a bâti tout son programme sur le prétendu « racisme » de notre peuple, cette opposition se présentant elle-même comme le parangon de l’égalité et le chevalier de la cause des supposés damnés de la terre mauritanienne. Ceux-là des nôtres qui avaient cru bâtir leur carrière sur cette haine de soi qui les poussait à dire du mal de leur pays en Occident ont fini par user la crédulité bienfaitrice de leurs amis étrangers.
Pour être juste, nous ne sommes pas les seuls à expérimenter ces scènes saisonnières d’un burlesque achevé. Je me souviens de la bataille inattendue qui a eu pour théâtre le Sénégal, il y a quelques années. Le président Abdoulaye Wade, lassé par ce qu’il considérait comme du harcèlement de son successeur Macky Sall sur son fils, lui a dit qu’il était un descendant d’esclaves et qu’en d’autres temps, il n’aurait même pas pu lui adresser la parole. Soudain un brave type – téléguidé ou non, je ne sais – est entré en scène. Il a dit que sa famille était l’esclave de celle des Sall depuis des générations. Un esclave ne pouvant pas avoir d’esclave, c’était donc la preuve que la famille Sall était d’une autre caste, bien supérieure à la sienne.
Venons-en à l’illustration mauritanienne de cet archaïsme. Tout commence par les propos d’un sombre blogueur, sombre par sa vision de la société. Il vit aux États-Unis d’Amérique. Il est un militant et se dit proche de Biram Dah Abeid. Il prône donc l’égalité entre les humains et se bat pour les couches défavorisées. C’est tout à son honneur. Mais voilà que, sortant de ses louables combats, il a proféré envers Monsieur Noredine Ould Mohamedou ce que certains considèrent comme la pire des insultes, puisqu’elle se réfère à une catégorie de l’échelle sociale mauritanienne considérée jadis comme très basse. Il l’a traité de forgeron. Sa victime est docteur en informatique, professeur d’université, leader politique et d’opinion. Il lui a rappelé que, malgré ses hauts diplômes et ses qualités intellectuelles, il n’est qu’un forgeron « qui doit conserver son rang ». Tout est dans cette conclusion, comme dans la morale des contes.
Ce propos, qui condamne l’humain en assignation à résidence identitaire originelle, ne peut inspirer que du mépris. Je n’aurais pas pris la peine de m’y attarder. Mais on ne me laisse pas le choix. C’est le genre d’impair qu’il faut révéler à nos concitoyens pour les assurer de notre solidarité. En effet, après « l’insulte » dont il se pense l’objet, Monsieur Ould Mohamedou a cru nécessaire de remettre les pendules à l’heure en déclinant sa généalogie sur plus de cinquante générations, cette généalogie qui le rattacherait au prophète à travers sa fille. Comme si cette ascendance était un gage de valeur, de supériorité, de plus d’humanité.
Pourtant, sur la même page, l’homme fustige les « cercles mauritaniens traditionnels qui croient malheureusement encore à la hiérarchie des classes et aux disparités sociales ». Allez y comprendre quelque chose.
Monsieur le professeur et président d’un parti « égalitariste », sinon humaniste, vous n’êtes pas de la caste des forgerons puisque vous le dites, bien que je ne voie pas ce que cela enlèverait à la valeur de l’homme que vous avez bâti par votre intelligence et par votre travail.
Monsieur le professeur, rassurez-nous ! Est-ce que vous regardez vos étudiants descendants de forgerons avec le même égard que ceux des classes qui seraient dignes de votre respect ?
Comment déterminez-vous ces appartenances ? Vous n’êtes pas forgeron, mais c’est en forgeant qu’on le devient, comme dit l’adage. Si vous persistez à décliner votre identité à chaque sombre attaque, alors vous ne vaudrez pas mieux qu’un « forgeron » moral.
Rappelons à ces ferrailleurs de la noblesse de sang que la Mauritanie du vingt-unième siècle, celle qui de plus en plus force l’admiration, est composée de toutes ces catégories auxquelles on accordait de la valeur jadis, comme c’était le cas dans toutes les sociétés. Notre pays doit sa prospérité à toutes. Les descendants du bas des échelles médiévales font partie, comme tout le monde, de toutes les catégories socioprofessionnelles, de tous les niveaux de la hiérarchie sociale.
Retenez bien ceci ! Les forgerons, les griots, les harratines et les aznaga représentent
peut-être plus de 80 % de la démographie mauritanienne. Et ce sont des électeurs. S’il faut que vous vous sentiez insulté et obligé de laver ce que vous considérez comme un affront quand on vous assimile à la « classe » des électeurs, sachez que le pouvoir aujourd’hui n’est plus dynastique, héréditaire. Ce sont ces gens qui le donnent.
Je profite de cette occasion pour présenter deux peuples dont les évolutions comparées devraient nous éclairer. Il s’agit de l’Inde et de la Chine. Le premier possède un immense potentiel et d’énormes richesses. En quelques décennies, il a connu une croissance économique incroyable. Néanmoins, il est toujours perçu comme un pays pauvre, où règne la misère. L’Inde doit ceci à la stratification sociale qu’elle a conservée. Cette société de castes laisse une énorme partie de sa population en marge du progrès. On pense par exemple aux intouchables, pour ne citer que ceux-là qui sont universellement connus. Un de mes amis parle des sociétés du privilège inné.
À côté de l’Inde, il y a la Chine qui a connu le même essor. Elle est la deuxième puissance économique du monde et l’on l’identifie à la richesse et non à la misère. Dieu merci, la Mauritanie est globalement perçue à travers le modèle chinois, qui a su gommer la notion de classe d’origine pour ouvrir la porte du progrès à tous ceux qui font usage du cerveau pour le bien de tous.
financiaafrik
Vous ne me croirez pas, mais tout ceci se passe au vingt-unième siècle, pas au Moyen Âge. Nous sommes à une ère où le refrain le plus courant de l’opposition mauritanienne en particulier, le préambule de toutes les constitutions, est que tous les hommes naissent égaux.
Nous sommes bien à l’époque où une certaine opposition de notre pays a bâti tout son programme sur le prétendu « racisme » de notre peuple, cette opposition se présentant elle-même comme le parangon de l’égalité et le chevalier de la cause des supposés damnés de la terre mauritanienne. Ceux-là des nôtres qui avaient cru bâtir leur carrière sur cette haine de soi qui les poussait à dire du mal de leur pays en Occident ont fini par user la crédulité bienfaitrice de leurs amis étrangers.
Pour être juste, nous ne sommes pas les seuls à expérimenter ces scènes saisonnières d’un burlesque achevé. Je me souviens de la bataille inattendue qui a eu pour théâtre le Sénégal, il y a quelques années. Le président Abdoulaye Wade, lassé par ce qu’il considérait comme du harcèlement de son successeur Macky Sall sur son fils, lui a dit qu’il était un descendant d’esclaves et qu’en d’autres temps, il n’aurait même pas pu lui adresser la parole. Soudain un brave type – téléguidé ou non, je ne sais – est entré en scène. Il a dit que sa famille était l’esclave de celle des Sall depuis des générations. Un esclave ne pouvant pas avoir d’esclave, c’était donc la preuve que la famille Sall était d’une autre caste, bien supérieure à la sienne.
Venons-en à l’illustration mauritanienne de cet archaïsme. Tout commence par les propos d’un sombre blogueur, sombre par sa vision de la société. Il vit aux États-Unis d’Amérique. Il est un militant et se dit proche de Biram Dah Abeid. Il prône donc l’égalité entre les humains et se bat pour les couches défavorisées. C’est tout à son honneur. Mais voilà que, sortant de ses louables combats, il a proféré envers Monsieur Noredine Ould Mohamedou ce que certains considèrent comme la pire des insultes, puisqu’elle se réfère à une catégorie de l’échelle sociale mauritanienne considérée jadis comme très basse. Il l’a traité de forgeron. Sa victime est docteur en informatique, professeur d’université, leader politique et d’opinion. Il lui a rappelé que, malgré ses hauts diplômes et ses qualités intellectuelles, il n’est qu’un forgeron « qui doit conserver son rang ». Tout est dans cette conclusion, comme dans la morale des contes.
Ce propos, qui condamne l’humain en assignation à résidence identitaire originelle, ne peut inspirer que du mépris. Je n’aurais pas pris la peine de m’y attarder. Mais on ne me laisse pas le choix. C’est le genre d’impair qu’il faut révéler à nos concitoyens pour les assurer de notre solidarité. En effet, après « l’insulte » dont il se pense l’objet, Monsieur Ould Mohamedou a cru nécessaire de remettre les pendules à l’heure en déclinant sa généalogie sur plus de cinquante générations, cette généalogie qui le rattacherait au prophète à travers sa fille. Comme si cette ascendance était un gage de valeur, de supériorité, de plus d’humanité.
Pourtant, sur la même page, l’homme fustige les « cercles mauritaniens traditionnels qui croient malheureusement encore à la hiérarchie des classes et aux disparités sociales ». Allez y comprendre quelque chose.
Monsieur le professeur et président d’un parti « égalitariste », sinon humaniste, vous n’êtes pas de la caste des forgerons puisque vous le dites, bien que je ne voie pas ce que cela enlèverait à la valeur de l’homme que vous avez bâti par votre intelligence et par votre travail.
Monsieur le professeur, rassurez-nous ! Est-ce que vous regardez vos étudiants descendants de forgerons avec le même égard que ceux des classes qui seraient dignes de votre respect ?
Comment déterminez-vous ces appartenances ? Vous n’êtes pas forgeron, mais c’est en forgeant qu’on le devient, comme dit l’adage. Si vous persistez à décliner votre identité à chaque sombre attaque, alors vous ne vaudrez pas mieux qu’un « forgeron » moral.
Rappelons à ces ferrailleurs de la noblesse de sang que la Mauritanie du vingt-unième siècle, celle qui de plus en plus force l’admiration, est composée de toutes ces catégories auxquelles on accordait de la valeur jadis, comme c’était le cas dans toutes les sociétés. Notre pays doit sa prospérité à toutes. Les descendants du bas des échelles médiévales font partie, comme tout le monde, de toutes les catégories socioprofessionnelles, de tous les niveaux de la hiérarchie sociale.
Retenez bien ceci ! Les forgerons, les griots, les harratines et les aznaga représentent
peut-être plus de 80 % de la démographie mauritanienne. Et ce sont des électeurs. S’il faut que vous vous sentiez insulté et obligé de laver ce que vous considérez comme un affront quand on vous assimile à la « classe » des électeurs, sachez que le pouvoir aujourd’hui n’est plus dynastique, héréditaire. Ce sont ces gens qui le donnent.
Je profite de cette occasion pour présenter deux peuples dont les évolutions comparées devraient nous éclairer. Il s’agit de l’Inde et de la Chine. Le premier possède un immense potentiel et d’énormes richesses. En quelques décennies, il a connu une croissance économique incroyable. Néanmoins, il est toujours perçu comme un pays pauvre, où règne la misère. L’Inde doit ceci à la stratification sociale qu’elle a conservée. Cette société de castes laisse une énorme partie de sa population en marge du progrès. On pense par exemple aux intouchables, pour ne citer que ceux-là qui sont universellement connus. Un de mes amis parle des sociétés du privilège inné.
À côté de l’Inde, il y a la Chine qui a connu le même essor. Elle est la deuxième puissance économique du monde et l’on l’identifie à la richesse et non à la misère. Dieu merci, la Mauritanie est globalement perçue à travers le modèle chinois, qui a su gommer la notion de classe d’origine pour ouvrir la porte du progrès à tous ceux qui font usage du cerveau pour le bien de tous.
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