
Le Calame : Salamou aleykoum ! Les autorités mauritaniennes ont empêché les militants et sympathisants du député Biram Dah Abeïd, président de la Coalition anti-système, de lui réserver un accueil populaire à l’occasion de son retour de France, le 16 Septembre, en déployant des forces de l’ordre tout au long de son chemin. Que vous inspire cette réaction des autorités ?
Mohamed Mohamed M’Bareck : Aleykoum salam ! Je tiens, tout d’abord, à remercier le Journal « Le Calame », pour cette opportunité d’expression auprès de ses lecteurs. Concernant la réponse à votre première question, le Rassemblement National pour la Réforme et le Développement (RNRD) a toujours été et demeure opposé à toute restriction des libertés individuelles et collectives. Il s'est opposé à tous les régimes dictatoriaux oppressifs depuis sa fondation en 2007 et continue de s'y opposer à ce jour. Le parti a exprimé cela à travers ses activités et ses communiqués documentés. Quant à la répression perpétrée par ce pouvoir contre les politiciens, les syndicalistes et les activistes des droits humains, elle a été condamnée par Tawassoul à plusieurs reprises et dans de nombreuses déclarations. La plus récente de ces dernières est le communiqué publié par l'opposition mauritanienne le 18 septembre dernier, dont nous fûmes le premier signataire. Nous y avons condamné la répression exercée à l’encontre des manifestants pacifiques et exprimé notre solidarité avec eux. Lorsque nous parlons des victimes de la répression, elles sont nombreuses et concernent les politiques, les syndicalistes, les militants des droits humains, les journalistes et blogueurs…
- Depuis le mois de Février, un dialogue politique proposé par le président de la République est en préparation. Dites-nous, d’abord, ce qui vous paraît justifier la tenue d’une telle rencontre, alors que le pays ne connaît pas de crise majeure ? Ensuite, n’avez pas le sentiment que ses préparatifs commencent à s’étirer un peu en longueur ?
- De mon point de vue, le pays est confronté à des problèmes majeurs depuis son indépendance. Au premier rang de ces problèmes, le développement et la démocratie, ainsi que les questions sociales. Ces soucis se sont profondément enracinés et ont été aggravés par les différents régimes corrompus qui se sont succédé depuis 1978 jusqu’à ce jour et qui ont échoué dans le règlement de ceux-là, œuvrant, à l’inverse, à leur complication et leur accentuation à tous les niveaux.
En matière de bonne gouvernance, les tentatives se sont caractérisées par une corruption endémique et un manque de volonté sincère de réforme et de changement constructif, ainsi que par l’exclusion et la marginalisation des personnes disposant de compétences administratives et techniques. Cela a conduit à l’enracinement de ladite corruption, du favoritisme et du népotisme au sein de l’Administration, ainsi qu’à la dégradation de tous les services, notamment la santé, l’éducation, l’eau, l’électricité, l’assainissement et les infrastructures. Tous les secteurs gouvernementaux sont en piteux état, en raison de l’incompétence et de l’échec de la plupart des personnes chargées de les gérer. Les critères de nomination du gouvernement actuel et de ceux qui l’ont précédé ne sont ni transparents, ni équitables, ni même techniques ! Dans la plupart des cas, la personne qu’il faut n’est pas désignée au poste qu’il faut ; ce qui a conduit à la situation dangereuse actuelle.
Sur le plan économique, ce gouvernement et ceux qui l'ont précédé ont échoué en ce domaine et en celui du développement, malgré les ressources et les capacités disponibles. Les budgets sont encore préparés de manière rudimentaire et ceux de l'État sont dépensés au hasard, sans programme planifié fixant les priorités et répondant aux besoins. À ce jour où je parle, le gouvernement n'a pas été en mesure d'élaborer un budget-programme, malgré nos demandes constantes à l’Assemblée nationale, par l'intermédiaire de notre groupe parlementaire.
La situation n'est guère meilleure en ce qui concerne le respect des exigences démocratiques et l'instauration d'un État de droit et d'institutions. La volonté des électeurs est constamment falsifiée dans la plupart des élections et l'État utilise ses outils, durs et souples, pour influencer les orientations de l'électorat en faveur des candidats du régime. Parallèlement, l'opposition est soumise à des restrictions, des accusations de trahison, des intimidations et des sanctions, tout comme les hommes d'affaires et les notables traditionnels qui décident de la rejoindre et de la soutenir par conviction, à la lecture de ses programmes. Les exemples sont nombreux.
Le pays connaît des problèmes structurels chroniques qui doivent être résolus par un dialogue national sérieux et inclusif. Prétendre que le pays n’est pas confronté à des problèmes ou qu'il n'y en a pas est une affirmation erronée et mensongère, démentie par la réalité. Chacun est conscient de la situation dangereuse que traverse le pays. Même les partisans du pouvoir en place en ont parlé et le gouvernement, son Premier ministre et le président de la République ont reconnu, à plusieurs reprises, leur échec et leur incapacité à résoudre les problèmes de la nation et de ses citoyens. Tant que le régime demeurera incapable, tout en reconnaissant la réalité, d'y apporter des solutions, comment ces problèmes pourraient-ils être résolus ? Il n'y aura pas de solution sans le dialogue, un dialogue sérieux et inclusif.
Le premier mandat de ce pouvoir avait expiré. Ce que je vous ai mentionné ne sont que des exemples des tracas que vit le pays et qui démontrent la nécessité d'un dialogue sérieux pour les surmonter. Concernant le dialogue annoncé par le régime, nous espérons qu'il ne ressemblera pas à ses précédents menés par le pouvoir et les régimes antérieurs. En tant que parti politique auquel le peuple a confié la direction de l'opposition, nous avons annoncé, à plusieurs reprises, notre volonté d'engager un dialogue sérieux, sans exclure personne ni aucune question. Mais, concernant les préparatifs du régime en vue de ce dialogue, tous les indicateurs initiaux démontrent son manque de sérieux.
- Le coordonnateur national du dialogue, monsieur Moussa Fall, a demandé aux acteurs politiques et aux personnes-ressources de lui faire parvenir leurs propositions pouvant figurer sur la feuille de route des discussions. Quels sont les principaux points que Tawassoul a soumis au coordonnateur ?
- Premièrement, le dialogue n'a commencé pour nous, qu'avec la nomination d'un coordinateur. Concernant les demandes et les messages de l'envoyé du pouvoir, monsieur Moussa Fall, chargé de communiquer avec les partis politiques, il nous a rendu visite au siège du parti et nous lui avons exposé notre point de vue et notre vision du dialogue. Nous lui avons exprimé la lassitude du peuple mauritanien face aux ruses et aux duperies des régimes successifs. Nous avons répondu à toutes les demandes et à tous les messages. Dans ce contexte, l'émissaire du régime a présenté un document complet comportant quatre axes : en un, les objectifs du dialogue et les résultats escomptés ; en deux, les thèmes de discussion ; en trois, les participants ; et, en quatre, le cadre proposé.
Quant à notre document, il était exhaustif, couvrant l'ensemble des problèmes du pays, et proposait les objectifs suivants. Objectifs et attentes du dialogue : le Rassemblement National pour la Réforme et le Développement (Tawassoul) vise à réunir tous les acteurs nationaux et civils, ainsi que les formations politiques autour d'une table de dialogue national inclusif où toutes les questions politiques, sociales et économiques seront abordées et où les résultats consensuels s'imposeront à toutes les parties. Ces résultats consolideront l'identité islamique du pays et le statut de la charia islamique comme source de droit, conformément à la Constitution du pays.
Il s’agit de : renforcer l'unité nationale et la paix civile et apporter des solutions aux problèmes du passif humanitaire, de l'esclavage et de ses séquelles ; réaliser une alternance démocratique sérieuse garantissant une transition pacifique du pouvoir et une vie politique épanouie, notamment avec la liberté d'opinion et une presse indépendante ; assurer une neutralité administrative totale et jeter les bases d'un processus électoral en créant les conditions objectives d'élections transparentes, libres et équitables ; établir des règles de bonne gouvernance offrant de sérieuses garanties pour lutter contre la corruption et permettant également de réaliser des réformes sociales. Les femmes et les jeunes doivent être au cœur des priorités.
Il faut également : entreprendre une réforme administrative inclusive visant à concrétiser une vision nationale inclusive pour renforcer une identité nationale qui règle la question linguistique et garantisse l'inclusion culturelle et une communication translinguistique dynamique ; établir la suprématie de l'arabe comme langue officielle du pays ; établir les conditions nécessaires à un développement durable qui permettra de lutter contre la pauvreté et d'éliminer le chômage, améliorant ainsi la situation des citoyens à tous les niveaux et assurant une exploitation optimale des ressources du pays dans tous les secteurs, notamment dans des domaines vitaux tels que l'éducation et la santé ; donner au pays le prestige régional et international que lui confèrent sa position géostratégique et son rayonnement culturel, en tant que République islamique dotée d'une histoire glorieuse en matière de diffusion de l'islam et de sa culture dans les quatre coins de la région.
- L’approche du coordonnateur du dialogue ne semble pas favoriser l’unité de l’opposition qui avait tenté, à la veille du lancement du processus de dialogue d’harmoniser ses positions. Saura-elle parler d’une même voix lors du dialogue ?
- En réponse à cette question, nous n'avons observé, au sein de Tawassoul, aucun comportement corroborant la conclusion à laquelle vous êtes parvenu. Nous supposons bonnes les intentions de monsieur Fall et sa volonté de dialoguer avec tous. Cependant, l'opposition elle-même – dont nous faisons partie, bien sûr – doit maintenir sa cohésion, unifier sa position et parler d’une seule voix au dialogue, afin de pousser le pouvoir à faire les concessions nécessaires à la réussite des discussions et d’en obtenir des résultats satisfaisants.
- L’institution de l’opposition pourrait-elle jouer un rôle au cours du prochain dialogue ? Si oui, lequel, sinon pourquoi ?
- Oui, l'institution de l’opposition peut jouer un rôle important et positif dans le dialogue, compte-tenu de sa position et de ses responsabilités. Les partis au sein de son conseil ont soumis un document de consensus au coordinateur de cette phase, monsieur Moussa Fall, et nous comptons fortement sur leur cohésion et leur coordination lors du prochain dialogue ; ce qui pourrait constituer un facteur de pression susceptible d'influencer le déroulement de la rencontre.
- Lors de l’adoption du nouveau règlement intérieur de l’Assemblée nationale, votre parti a été accusé d’avoir soutenu la position du gouvernement, une position qui a suscité une grogne au sein des rangs de l’opposition. Le compte a-t-il été soldé au sein de celle-ci ?
- Le parti n'a pas soutenu la position du gouvernement à cet égard mais s'est contenté d'exprimer sa conviction et de déployer des efforts considérables pour introduire des réformes et des améliorations fondamentales au règlement intérieur initial soumis par le groupe parlementaire de l’INSAF. Sur cette base, un accord a été conclu avec ce groupe pour voter en faveur de la proposition, en échange des amendements proposés par le nôtre. Nous avons estimé que cette démarche était plus avantageuse pour l'opposition que la politique de la chaise vide et d'un vote négatif contre la proposition initiale, se contentant d'enregistrer une position sans affecter le processus de vote, compte-tenu de la majorité absolue du groupe parlementaire INSAF à l'Assemblée nationale. Nous pensons que ce problème est révolu et désormais résolu.
- Le ministère de l’Intérieur a octroyé des récépissés provisoires à quelques partis, suivant la nouvelle loi en ce domaine. Au-delà de ce qui s’est passé, continuez-vous à considérer cette nouvelle loi sur les partis « restrictive des libertés » ?
- Oui, nous considérons toujours que la nouvelle loi sur les partis politiques constitue un recul par rapport aux limites imposées aux libertés politiques par la loi précédente. Nous exigeons que la discussion de cette loi soit incluse dans le dialogue à venir.
- L’insécurité à nos frontières avec le Mali est de plus en plus préoccupante. Les bruits de bottes et les crépitements des armes se rapprochent de plus en plus de notre territoire. Pensez-vous que les autorités mauritaniennes ont pris toute la mesure du danger et que les dispositions sont prises pour éviter des débordements sur notre territoire ?
- Le pouvoir mauritanien doit redoubler de vigilance et assumer ses responsabilités pour protéger l'intégrité territoriale du pays et défendre les intérêts de nos compatriotes, d'autant plus que plusieurs de ceux-ci ont été victimes d’attaques à la frontière mauritano-malienne, la plus récente étant celle contre des citoyens mauritaniens résidant dans le village d'Angoumel, en territoire malien. Cette attaque a provoqué des morts, des blessés et des rapts, ainsi que des pillages de biens, notamment de bétail, d'effets personnels et autres. Ceci laisse présager une escalade du danger et des tensions dans la région.
- Il y a quelques jours, un débat sur l’identité haratine alimente les réseaux sociaux et certains media. Qu’en pensez-vous ?
- Nous n'avons jamais abordé le débat sur l'identité, cette question ayant déjà été réglée dans les textes qui régissent notre parti. L'islam est la composante fondamentale de notre identité et domine toutes les autres, pluralisme culturel, diversité sociale et fusion entre les diverses ethnies. Les groupes et les régions ont constitué, tout au long de l'histoire, un facteur d'unité et d'harmonie pour notre peuple et le titre général de son rayonnement culturel et civilisationnel. Citons, ensuite, la patrie : elle représente l'appartenance spatiale et l'identité historique du peuple de cette nation ; la langue arabe ; les langues nationales : ce sont les éléments fondamentaux de l'identité, dans le respect des particularités culturelles de toutes les composantes de notre peuple. Nous sommes convaincus du droit de chacun à se définir et à se présenter aux autres, en exprimant qui il est, à la lumière des éléments identitaires susmentionnés qui englobent, selon nous, toute la diversité nationale et mettent fin au débat sur cette question.
- Les délestages d’électricité et d’eau ont affecté la capitale et les faibles pluies qui se sont abattues, il y a quelques jours sur Nouakchott ont démontré combien la capitale a besoin d’abord d’assainissement et de modernisation ensuite. Le programme de développement et de modernisation de Nouakchott en cours donne-t-il le sentiment que les choses pourraient bien évoluer, à défaut de changer ?
- Le projet d'assainissement de la capitale, fréquemment promu par le gouvernement, relève davantage de la fiction et d'une propagande politique éhontée que de la réalité. La situation déplorable de Nouakchott, même à la moindre pluie, révèle l'inadéquation des déclarations du gouvernement à cet égard et la nécessité d'un véritable changement systémique permettant aux promoteurs de projets de réforme sérieux, comme le projet Tawassoul, d’agir avec effets. En effet, le projet de notre parti consiste à servir les citoyens avec sincérité et transparence, à obtenir des résultats concrets en matière de développement et à mettre en place une infrastructure solide capable de suivre le rythme des efforts de développement et de lutter contre la corruption, qui a longtemps entravé la mise en œuvre de ce projet. Salamou Aleykoum We Rahmatou Allah.
Propos recueillis par Dalay Lam
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