L’Art, tout comme la vie, nous interroge : Comment puis-je me transformer en vivant le monde ? En touchant les autres ? Quels bouleversements s’opèrent en moi, au gré des rencontres, des lieux parcourus, des instants partagés ? Ainsi, l’esprit créatif, outil premier de l’artiste, devient le vecteur d’une liberté fragile mais essentielle. Cette liberté d’expression repousse sans cesse les limites et les cadres établis et résonne profondément avec notre propre démarche de découverte humaine. Car notre curiosité, elle aussi, repose sur l’interprétation de symboles spirituels, de signes, de ce qui nous entoure et de ce que nous sommes ou en devenir. Il existe une constante : à chaque époque, en chaque civilisation, les expressions artistiques témoignent de la capacité des hommes et des femmes à dialoguer avec leur temps. L’Art est un langage universel, un miroir tendu à l’âme collective.
Nietzsche résumait cette essence avec force : « L’Art et rien que L’Art... Nous avons l’Art pour ne pas mourir de la Vérité. » Une vérité que nous croyons toucher du doigt, non pour l’enfermer mais pour nous en libérer et nous transcender. Alors qu’en réalité, la Vérité est un océan sans rivage... Elle se dessine souvent dans l’opposition : entre le Réel et la Raison ou, encore, entre les images dont notre intellect se fait parfois le geôlier. Cette réflexion m’inspire une autre pensée : l’Art, en tant qu’expression de l’âme, nous préserve donc de l’absurdité de l’existence. Par cela, il devient un sanctuaire pour les pensées absurdes, un miroir qui révèle l’impasse où elles s’égarent. L’Art agit alors comme un détonateur critique face à ces absurdités, surtout lorsque celles-ci s’opposent à sa libre expression.
Un acte de communion
Le symbolisme artistique est l’émanation d’une pensée affranchie synonyme de liberté, d’une conscience éclairée. Il donne corps à une expression, qu’elle soit matérielle, sonore, verbale ou corporelle, et contribue à son épanouissement dans l’action. Et alors, une question essentielle s’impose : être libre, n’est-ce pas l’acte radical de rejeter toute forme de tutelle ? Quelle soit spirituelle, politique, clanique, psychologique, philosophique ou, osons même le dire, tribale, en pensant à mon origine féodale saharienne. L’art se refuse à toute tutelle ou à être un outil de propagande et de contrôle idéologique. C’est dans cette lutte pour l’expression artistique que naît une forme de pureté, d’innocence et d’authenticité. Une pensée véritable qui, une fois purifiée de ses oripeaux, devient, paradoxalement, générosité infinie. Elle s’adresse à tous sans distinction de culture ou d’origine. Et surtout, elle offre à chacun un bien précieux : la Liberté ; celle de choisir, d’aimer ou de s’en abstenir, d’embrasser un élan ou de s’en détourner…
En cela, cette pensée artistique forge un langage des sens, discret mais profond : celui de l’esprit et du cœur. Un langage qui vibre sur des cordes singulières, nous invitant à apprivoiser une expression dans toute sa dimension, à la partager, à la diffuser. C’est ainsi que se dévoilent nos sentiments les plus nobles, nos ressentis les plus sincères, nos impressions les plus intimes. Débarrassé des masques de l’artifice, ce dialogue authentique n’est accessible qu’en étant pleinement soi-même, sans chercher à être identique à autrui mais en toute conscience et toute intelligence. Une pensée universelle devient alors, dans ces conditions, un acte de communion d’une intensité insondable. Cependant, une question fondamentale demeure et plane au-dessus de ce voyage des sens : « Si l’Art regorge de telles vertus, contribue-t-il à améliorer les relations humaines ? »
Nous le savons : la fonction artistique est une pierre angulaire de nos sociétés. Plus son champ d’expression s’élargit, plus elle façonne des êtres harmonieux, tournés vers leur essence, et construit les fondations d’une société plus lumineuse. Face à cette interrogation, certaines clés permettent d’entrevoir une réponse plus détaillée. Par son langage non verbal, l’Art abaisse les barrières linguistiques, offrant aux individus la possibilité de partager des émotions et des idées sans recourir aux mots. Ce mode d’expression unique favorise une compréhension mutuelle, tissant des liens profonds entre les êtres.
Face à l’art pur, une évidence : il est une célébration de la sensualité à l’état pur, un hymne à l’union des contraires. Pourtant, pour en percevoir toute la profondeur, il faut se dépouiller du bruit du monde et toujours encore s’abandonner au silence. C’est dans cette quiétude que l’Art dévoile son essence : les formes séparées se répondent, s’élèvent l’une vers l’autre et, finalement, s’unissent dans une communion symbolique, quasi transcendante. L’art pur nous exhorte à solidifier nos valeurs, à cultiver l’humilité et à embrasser la reconnaissance de nos propres limites. Il incarne également un rappel fondamental : celui du respect inconditionnel envers autrui, indépendamment de ses origines, de sa condition sociale, de son sexe. Face à l’amour, l’abandon de l’orgueil se présente comme une clé essentielle. Elle ouvre les portes d’un espace sacré, menant à une élévation de conscience et de moralité. Ce voyage initiatique illustre une vérité universelle et intemporelle : l’acquisition de la sagesse exige un effort constant, une patience éclairée et une humilité sans faille.
Briser la doxa des étiquettes
L’art incarné invite aussi l’être à s’abaisser symboliquement, réfléchissant à ses pensées et ses actions, s’interrogeant sur les vérités cachées au-delà des apparences. Ce geste marque un voyage intérieur vers la connaissance et une transformation intime où la quête de la vérité devient le fondement d’une métamorphose personnelle. Et qui n’a jamais traversé ces quartiers populaires laissés à l’abandon, pour les voir renaître sous le souffle créatif des artistes ? L’Art, par sa seule présence, redonne vie, couleur et jeunesse à ce que le temps avait figé ou détérioré, ravivant par là même les âmes qui le traversent. Mais l’Art ne se limite pas à une résurgence esthétique : il bâtit des ponts, lie les cultures et reflète les traditions qui façonnent nos sociétés. À travers l’exploration et l’appréciation des multiples expressions artistiques, chacun peut apprendre à voir la richesse des différences culturelles, développer un respect mutuel et tisser des relations humaines plus fortes.
À une époque où certains cherchent à enfermer les identités dans des prismes nationalistes et religieux, invoquant la crainte et la désunion ou la perte d’une prétendue pureté, il est essentiel de se souvenir que notre république, dont la chute est « programmée » par les trompeurs de l’État et des citoyens de Mauritanie, s’est aussi nourrie de leurs diversités. Nos origines mêlées, nos parcours entrecroisés : tout cela forge notre singularité. Et c’est précisément ce mélange qui fait la force de notre régime républicain. Et non leurs peurs. Pour cela, il est nécessaire de dépasser les jugements ethniques et de genre, de briser la doxa des étiquettes. Être républicain, ce n’est pas dire au nouveau venu : « À Rome, fais comme les Romains », non ! Mais, plutôt, laisser fleurir des expressions culturelles diverses, tant qu’elles se côtoient de manière harmonieuse. L’Art, avec pour seul bagage une identité culturelle, franchit les frontières, contourne les obstacles, défie les oppositions politiques et s’affranchit des limites imposées. La littérature, entre autres, témoigne de cette richesse métissée. D’aucuns s’émerveillent autant des philosophies et poésies orientales que de celles d’Apollinaire, lorsqu’il nous supplie de « rallumer les étoiles ».
Et c’est bien cela que l’Art nous enseigne : célébrer ce qui nous distingue autant que ce qui nous unit. À travers la cohésion sociale, l’Art – qu’il s’agisse de théâtre, de musique ou de danse – rassemble les individus dans un même espace, autour d’expériences éphémères. Ces instants suspendus suscitent un sentiment d’appartenance, cimentent la communauté et tissent des liens profonds entre ses membres. Ce n’est rien de moins qu’une invitation à se reconnaître dans l’unique communauté de ses hommes et femmes. L’Art est ainsi une expression puissante. Il offre à chacun la liberté de mettre en forme ses pensées, ses émotions, ses expériences les plus personnelles. Et lorsque ces œuvres sont partagées, elles révèlent des vulnérabilités sincères, une authenticité précieuse. En se dévoilant ainsi, l’artiste invite à une connexion véritable où chacun peut avancer à visage découvert, connu et accepté dans son essence la plus intime. L’authenticité, comme je vous l’ai déjà confié, est une clé. Une clé qui ouvre les portes de l’univers d’un frère et d’une sœur. Et l’Art, expression pure et intime, en plus de la Baraka d’Allah, en est le garant.
Enfin, l’Art est un formidable vecteur d’empathie. Il nous permet d’endosser d’autres vies, d’autres regards. Il nous aide à pourfendre les frontières de nos origines culturelles, non pour les renier mais pour mieux les interroger. L’Art et la Prière nous libèrent des conditionnements qui brident notre perception du monde, tout en honorant l’histoire et les traditions qui nous façonnent. Ils ouvrent un espace où l’on peut ressentir, comprendre et accueillir les émotions de l’Autre, avec compassion et bienveillance.
N’est-ce pas là, en définitive, le socle des relations humaines harmonieuses ? En réalité, l’Art détient un rôle d’une portée que nous sous-estimons trop souvent, dans l’amélioration des relations humaines qui façonnent nos vies, pour peu que nous nous laissassions toucher par sa magie. Ce « peu » est le frémissement, la graine d’un changement capable de réorienter une société en perte de repères, vers un avenir nourri par des aspirations progressistes, audacieuses et collectives...
Mohamed Mael Aïnine Sidi Ethmane (Essemlaly)
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Caravane des Échanges Culturels et Artistiques Internationaux
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Œuvres d’art : Quand l’être humain rencontre l’Art
