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De l’opportunité ou du devoir de participer au dialogue national / Par Dah Ehmedane

Jeudi 27 Novembre 2025 - 06:21

Le dialogue national sollicité par Son Excellence Monsieur le Président de la République est, en référence à sa feuille de route publiée, un appel à la concertation entre partis, mouvances politiques et personnalités nationales. A ce titre, je l’aborde dans le présent papier pour m’exprimer par rapport au choix de participation ou non à l’évènement, option objet elle-même d’un débat déjà très animé.

Cet appel intervient dans un contexte institutionnel de dysfonctionnement majeur de notre système politique qu’il convient d’abord de présenter afin mettre en relief les contraintes en résultant selon l’état d’esprit des principaux acteurs en présence. Les premiers développements du présent article seront à cet effet consacrés à un gros plan sur cet environnement de crise systémique. Je m’exprimerai ensuite en conclusion des développements suivants quant à la pertinence de participer ou non à ce dialogue.

 

De l’environnement de crise systémique et de l’état d’esprit des acteurs
 

La crise dont il est question ici désigne les dysfonctionnements structurels du système politique dit de "Démocratie représentative" non seulement chez nous mais aussi ailleurs dans le monde. Les principales manifestations de cette crise sont la perte de confiance des électeurs en leurs représentants et la concentration de pouvoirs aux mains des dirigeants.

Cette perte de confiance se traduit chez nous par des signes de déception et de défiance observés à travers la prolifération de candidatures non partisanes aux élections et les frondes récurrentes au sein des partis politiques, souvent en prélude à des ralliements aux majorités gouvernantes, en plus de la baisse des taux réels de participation électorale.
 

Les manifestations d’affairisme associés à ces dysfonctionnements largement relayées par les médias chez nous et ailleurs, font que les écosystèmes politiques dans les démocraties représentatives contemporaines sont de plus en plus analysés en "marché politique" avec des produits et termes d’échange constitués de "biens politiques" immatériels, par analogie aux marchés de biens et services économiques classiques.

La revue des évolutions politiques dans le pays révèle effectivement que, face à leur environnement marchand, les dirigeants se trouvent assujettis à des jeux de rivalité où l’administration en continu des échéances électorales les pousse irrésistiblement à abuser de leur position de domination politique et économique par rapport aux autres acteurs.
 

Les analystes mentionnent en outre l’émergence d’un phénomène dit de "professionnalisation de la politique" auquel nous n’échappons pas, avec l’apparition de politiciens professionnels à revenus issus entièrement d’activités d’intermédiaires et auxiliaires de partis ou de dirigeants politiques.

Le politologue Martin Shefter,[[1]]url:https://lecalame.info/?q=node/17911#_ftn1  observait en substance depuis 1994 que les personnels de cette catégorie se maintiennent en développant leurs statuts et leurs patrimoine grâce aux "prébendes d’Etat" en constituant des réseaux relationnels sur le crédit des collectivités publiques.
 

La deuxième manifestation des dysfonctionnements des régimes dits de démocraties représentatives est la concentration grandissante de pouvoirs aux mains des dirigeants, neutralisant ainsi les effets de contrepoids escomptés du principe de séparation des pouvoirs.

Deux exemples de grands pays du Sud où cette tendance est décriée sont les Etats Unis d’Amériques et la France.

En effet, aux USA, le bridage voire le "démantèlement" des institutions étatiques sur fond de dérégulation, consacre une forte concentration de pouvoirs aux mains du Président actuel de l’Etat fédéral [[2]]url:https://lecalame.info/?q=node/17911#_ftn2 .

Le second exemple est la France où de nombreuses voix d’observateurs avisés appellent au rééquilibrage des pouvoirs en dénonçant la concentration de pouvoirs aux mains du Président actuel de la République [[3]]url:https://lecalame.info/?q=node/17911#_ftn3 .

Chez nous, les dysfonctionnements sus-évoqués sont constatés sous diverses formes dont les principales sont résumées ci-après :
 

1. L’écosystème politique dans notre pays fonctionne effectivement en marché dont les règles du jeu lient les élus avant même leur prise de fonctions.

Cette réalité déjà perceptible au cours des deux dernières décennies a été relevée dans divers articles de presse dont, entre autres mon papier (Souci d’éthique à la veille de l’an II de la nouvelle République publié dans le journal Biladi en 2009).[[4]]url:https://lecalame.info/?q=node/17911#_ftn4

Ce marché politique est en particulier desservi par le positionnement des partis au pouvoir en Partis-Etat avec un grand P, centre de gravité de toute la vie publique, pratique courante transmise de régime en régime et que la militarisation de la vie publique a fortement accentuée.

Au nombre des conséquences de cette situation, il est en particulier notoire :

2. Que l’appartenance ou non au Parti-Etat est devenue l’étalon de valeur déterminant d’accès aux privilèges publics, en particulier la nomination aux fonctions de responsabilités dans l’administration ou de représentation de l’Etat.

L’une des graves injustices causées par cette pratique est que des centaines de hauts cadres non partisans, compétents et intègres, ont été et demeurent encore victimes de cette discrimination. Le sort de cette partie de notre élite, silencieuse par dépit ou par dégout, est aujourd’hui un autre passif humain des dernières décennies ! 

3. Que les pouvoirs d’Etat se trouvent ainsi concentrés entre les mains de dirigeants soumis aux soubresauts politiques avec tous les risques associés.

En réaction à cet état de fait, le ressenti de marginalisation au niveau de certaines mouvances de l’opposition, exacerbé par les traumatismes des évènements tragiques et douloureux vécus dans le pays, est de plus en plus développé en discours extrémiste et sectaire contre l’Etat, perçu comme apanage de la nationalité majoritaire !
 

Quant à la professionnalisation de la politique, elle se vit pleinement dans tous nos milieux sociaux à travers le nomadisme des élus et l’intermédiation de tout genre fortement amplifiée par l’explosion aussi spectaculaire qu’envahissante des réseaux sociaux.

Tel est brièvement décrit, l’environnement institutionnel et politique du dialogue national auquel des acteurs politiques sont invités par le président de la République et par rapport auquel j’exprime ci-après mon avis quant à la pertinence d’y participer ou non.

                             

Opportunité ou devoir de participer au dialogue
 

L’environnement du dialogue national décrit ci-dessus est ainsi marqué par :
 

* Un paysage bipolarisé, avec une majorité gouvernante structurée autour du sempiternel Parti- Etat mais légitimé cependant dans sa tradition de régence de la vie publique par un demi-siècle de processus électoraux et de cohabitation, bon an mal an, avec les mêmes formations et mouvances d’opposants et d’alliés.

* Le président de la République qui en appelle, alarmé, à la concertation et au dialogue pour réformer l’Etat et le consolider face à un péril menaçant.

* Une opposition dont les mouvances, les plus sollicitées, n’adhèrent pas à la concertation persistant à inscrire l’appel du Président dans l’agenda des conjectures politiques courantes !

Ma compréhension est que cet appel au dialogue est lancé par le président de la République au titre de ses responsabilités de garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité territoriale et de la cohésion sociale, dans le but d’associer le collectif des acteurs politiques et sages du pays à la prise de décisions majeures face à une série de crises systémiques de dysfonctionnement de l’Etat, de mal gouvernance et d’incompréhensions, aggravées par une situation géostratégique régionale et mondiale préoccupante et lourde de menaces.
 

Le Président soumet ainsi les réformes envisagées à la consultation des représentants du peuple, eu égard à leur nature quasi référendaire et aux dangers à prévenir.

La question s’adresse alors aux dirigeants des formations et mouvances politiques réticentes ayant régulièrement souscrit aux processus d’élection de nos présidents et chefs de l’Etat, pour savoir s’ils ne sont pas liés par le devoir de répondre favorablement à cet appel à la concertation nationale, à savoir l’institution de la « Choura ».  Et ne seraient-ils pas en situation de déni en ignorant l’interpellation ?

Et quid, dans ce contexte d’attente et d’incertitude quant à l’issue de ce dialogue, de la contribution de l’élite à l’étude des thématiques proposées ?
 

Ma réponse à cette dernière question que j’exprime ici en conclusion de ce texte, est que de nombreux intellectuels et cadres nationaux dont j’ai l’honneur de pouvoir me compter ont le mérite d’avoir accompagné l’évolution institutionnelle du pays et éclairé l’opinion de leurs idées durant la longue période d’exception. Cette élite est par conséquent en devoir d’inscrire et faire publier ses réflexions et contributions aux réformes salutaires envisagées dans le cadre du dialogue. Les acteurs politiques de toutes générations, dont monsieur le président, auront ainsi toute latitude de partager sereinement ces contributions et les soumettre dans les formes adéquates aux institutions compétentes de l’Etat.     

 

Notes

[1] Martin Shefter ; 1994, cité par Michel Offerlé dans son livre « Les partis politiques » Que sai-je ? 10ème édition juin 2022.

2 Cf. notamment les publications de Jacky Isabello fondateur du cabinet « Parlez-moi d’Impact ».

3 Cf. La tribune de l’historien et politologue Patrick Weil « La concentration des pouvoirs aux mains du président de la République asphyxie la démocratie » ; le Monde du 23 novembre 2023.
 

4 J‘écrivais alors dans cet article une année après l’élection du Président feu Sidi Mohamed Ould Chekh Abdallahi: « Lestés par les pactes « anté-électoraux », ces dirigeants baignent en fait dans une atmosphère de saturation et de surengagement vis-à-vis d’un environnement composite de forces politiques et sociales auxquelles ils sont redevables de leur ascension et de leur triomphe...».

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