Le Calame : Les services du ministère de l’Intérieur viennent de délivrer le récépissé de votre parti. Comment avez-vous accueilli cette décision ?
Nouredine Mouhamedou : Avec soulagement mais sans euphorie car l'injustice et l'attente n'ont que trop tardé.
- Vous avez dénommé votre parti « Mauritanie en avant » Pourquoi ce choix ? Faudrait- il comprendre que la Mauritanie d’aujourd’hui fait du surplace ou n’avance pas bien ? Quel projet de société propose «Mauritanie en avant » au peuple mauritanien ?
- Nous avons dénommé notre parti depuis le dépôt du premier dossier en Novembre 2017 : « Mauritanie en avant ». Ce choix est dû aux innombrables études que nous avons menées en tous les domaines, montrant que la Mauritanie n'est malheureusement en avance en aucun secteur étatique. Oui, exactement, cela veut dire que notre pays n'avance que très peu, comme l'exception qui confirme la règle. Notre parti propose aux Mauritaniens un sursaut civilisationnel en quinze domaines constituant les piliers d'un État moderne, sous forme de plus de sept cents idées novatrices. Allant de la refonte d'un pouvoir judicaire fiable, jusqu'aux leviers du bien-être et de l'épanouissement des populations, en passant par le renforcement de l'unité nationale, le redressement de l'appareil éducatif, la fiabilisation du système sanitaire, la révision de la Constitution, le remplacement de la grille salariale et de la retraite publique, la reconstruction de la diplomatie et des appareils de défense et de sécurité... mais, aussi, du pouvoir d'achat et de la séparations des pouvoirs, etc.
- Si je ne m’abuse, vous aviez dénoncé la nouvelle loi sur les partis politiques, évoquant une « restriction des libertés », mais vous voilà aujourd’hui autorisé grâce au nouveau texte. Maintenez-vous vos griefs contre le nouveau texte ?
- Oui.
- Trop de partis politiques est-il une force ou une faiblesse pour la démocratie mauritanienne ?
- Au niveau où en est notre jeune démocratie perturbée, c'est mieux d’en avoir beaucoup, avec des leviers de contrôle en aval (post-élections par exemple), plutôt que de piétiner un acquis fondamental de la République, telle que la liberté collective de se constituer en parti politique. Le pluralisme partisan étant un fondement existentiel caractérisant la république que nous vivons actuellement.
- La reconnaissance de votre parti intervient en pleine préparation du dialogue politique national. Comme certains autres partis politiques de l’opposition, vous aviez décidé de boycotter ce conclave en gestation. Allez-vous désormais prendre le train en marche ou rester en dehors du processus ?
- Non, nous n'avons pas décidé de boycotter le dialogue. Nous avons rencontré deux fois le coordinateur monsieur Moussa Fall : la première à sa demande et nous lui avons remis notre premier document à la seconde rencontre. Par la suite, nous avons été assidument présents aux réunions de l'opposition plurielle afin de contribuer à la vision de celle-ci pour un dialogue à succès. Nous avons donc plutôt pris le train à la station mais nous ne voudrons pas d'un nouveau mauvais départ de l'opposition.
- Dans un cas comme dans l’autre, qu’est-ce qui, à votre avis, justifie la convocation d’un dialogue par le président de la République ? Que pourrait-il apporter au pays ?
- Le dialogue est un principe qui est toujours justifié. Il pourrait apporter beaucoup pour ce pays, comme il pourrait constituer une débâcle républicaine. Tout dépend du niveau de bonne foi, de part et d'autre. Un dialogue réussi pourrait assoir les bases d'un retour serein d'un régime civil, laissant une sortie honorable aux militaires qui dirigent le pays. Il pourrait aussi constituer une occasion rare de décrisper définitivement la question de la cohésion nationale, établir une feuille de route efficace pour éponger les séquelles de l'esclavages et les maux du passif humanitaire. Mais, aussi, jeter les bases un État de Droit moderne, tant rêvé depuis l'Indépendance.
- Vous avez certainement parcouru le premier projet de feuille de route du dialogue, fruit des propositions des partis politiques et des membres de la Société civile. Qu’en avez-vous pensé ? Si votre parti devait apporter sa contribution, que proposerait-il de plus ?
- Nous n'avons, non seulement, parcouru ce projet de feuille de route mais l'avons d'ailleurs amendé et en proposé amélioration car nous étions partie prenante dans toutes les réunions des partis de l'opposition où cette feuille de route était en gestation. Nous y avons alors notamment proposé l'ajout de pourcentages biaisant les conditions et les thématiques du dialogue éventuel, établissant une grille de lecture pour le retour éventuel du pouvoir à cette proposition. Ce qui donnera à l'opposition un moyen décisionnel mesurable, quant à la participation ou non à ce dialogue, en fonction de satisfaction ou non des conditions et doléances de l'opposition.
- Depuis quelques années, la question de l’unité nationale, pour ne pas dire de la cohabitation, est au cœur des débats politiques. Pouvez-vous nous dire le contenu que votre parti « Mauritanie en avant » met dans le vocable « Unité nationale » ?
- Notre parti dispose de quarante-trois idées novatrices pour restructurer puis solidifier définitivement l'unité nationale. Nous ne les étalerons pas ici. Mais nous vous dirons simplement aujourd'hui qu’elles sont ventilées en thèmes : éducation, urbanisme, social, langues, partage des ressources, employabilité, encouragement d'une société multiculturelle mais cosmopolite, etc.
- La lutte contre la gabegie est un des engagements électoraux du président Ghazouani, réélu pour un second et dernier mandat en Juin 2024. Quelle évaluation vous faites de ce combat depuis son élection en 2019 ?
- Un bilan catastrophiquement négatif. Jamais la gabegie, le détournement de fonds publics, le manque de transparence et le chauvinisme n'ont atteint de plus hauts sommets que sous ce régime, caractérisé par un laisser-aller historiquement sans précédent dans notre pays. Les rapports de l'Inspection Générale de l'État n'ont jamais été aussi étouffés. La Cour des Comptes n'a jamais été aussi caduque et sans impact, sans parler de l'absence désastreuse des contrôles et inspections internes des départements ministériels et tous les établissements publiques, parapubliques et nationaux confondus.
- Le Conseil Constitutionnel vient de retoquer la loi portant règlement intérieur de l’Assemblée nationale. Que pensez-vous de ce geste des sages du Conseil ? La loi protégeant les symboles de l’État ne demeure-t-elle pas une épée de Damoclès sur la tête des acteurs politiques, des défenseurs des droits de l’Homme et des bloggeurs ?
-Le Conseil Constitutionnel a ainsi pris une décision positive, une fois n'est pas coutume. Toutefois, nous considérons qu'il est encore très loin de jouer le rôle qui est constitutionnellement le sien. La loi sur les symboles de l'État est une véritable débâcle rétrograde et obscurantiste sur les libertés collectives. Sans son abrogation pure et simple, aucune avancée en libertés ne pourra être enregistrée.
- Le président de la République a convié les Mauritaniens à passer leurs vacances à l’intérieur du pays au lieu d’aller à l’étranger. La raison avancée est qu’elles font perdre beaucoup de devises au pays. Qu’en pensez-vous ?
- Une mesure qui nous rappelle les « maisons du Livre » de l'ancien président Ould Taya ou la campagne de fondations de puits et points d'eau à l'époque de l'autre ancien président militaire Ould Haïdalla. Il s'agit de mesures ou d'appels, bons en principe, universels mais complètement déphasés avec les réalités du pays et probablement déconnectés de toutes celles des populations, de leur pouvoir d'achat et de leur aptitude à prendre ou pas de vacances.
- Les forces de sécurité ont démantelé, coup sur coup, des réseaux de trafics de drogue, de migrants, de médicaments contrefaits, d’armes … Que vous inspire cette situation ? C’est préoccupant, non, dans un Sahel où crépitent des armes et meurent des hommes ?
Bonnes mais insuffisantes actions. Oui, très préoccupant, dans la situation actuelle que connaît notre Sahel. Je vous remercie.
Propos recueillis par Dalay Lam
lecalame