L’Assemblée nationale a ratifié, au cours d’une séance publique tenue samedi sous la présidence de M. Mohamed Bemba Meguett, président de l’Assemblée, deux projets de loi dont le premier est relatif à la lutte contre la corruption et le second à la déclaration des biens et des intérêts.
Le ministre de la Justice, M. Mohamed Mahmoud Ould Cheikh Abdallah Ben Boya, dans son intervention devant les députés, a expliqué que le projet de loi relatif à la lutte contre la corruption s’inscrit dans le cadre de la ferme volonté des plus hautes autorités du pays de lutter contre la corruption et de promouvoir la bonne gouvernance, précisant que le projet de loi vise à combler les vides juridiques et les insuffisances révélées par l’expérience de l’application de la loi 014-2016 relative à la lutte contre la corruption durant la dernière phase, d’une part, et à introduire les recommandations de l’examen périodique de la Convention des Nations Unies contre la corruption (CNUCC), d’autre part.
Le projet de loi introduit des dispositions matérielles relatives à la malversation dans le secteur privé, à l’exécution, à la réception et au suivi des marchés publics, à l’octroi d’ordres et d’instructions pour l’attribution de marchés et de concessions en violation de la loi, à l’introduction d’une peine privative de liberté assortie d’une amende pour le délit d’enrichissement illicite, à l’augmentation des amendes financières en fonction de l’importance des actes commis, ainsi qu’à la réécriture de certaines dispositions légales afin d’en assurer la clarté et d’en favoriser l’application optimale.
Le ministre a ajouté que la partie procédurale du projet de loi renforce les mesures préventives au cours du processus de recherche et d’investigation et fournit aux autorités compétentes des mécanismes juridiques pour détecter les délits de corruption et rechercher des preuves, tout en établissant des garanties juridiques et judiciaires qui respectent la vie privée et empêchent leur utilisation en dehors des cadres juridiques pertinents, en plus de développer des mécanismes alternatifs pour poursuivre les délits de corruption qui permettent de récupérer des fonds et de les utiliser pour financer des programmes économiques et sociaux.
Il a souligné que le projet de loi réglemente les procédures de poursuite des personnes morales, les procédures de prononcé des décisions judiciaires et leurs délais, qui ne peuvent dépasser 15 jours à compter de la date d’enregistrement de l’affaire pour délibération.
Il a souligné que l’intérêt du gouvernement pour ce projet – et pour d’autres projets liés à la lutte contre la corruption – ne vient pas ex nihilo, mais d’une forte prise de conscience de la gravité des défis posés par le phénomène de la corruption et de la nécessité de revoir l’arsenal juridique afin de le compléter, de le renforcer et de le développer.
Le ministre a indiqué que le projet de loi a été rédigé avec une formulation réfléchie qui tient compte de la précision des termes et des concepts techniques adoptés dans le domaine, afin d’assurer que les intentions législatives sont clairement et efficacement transmises et de renforcer la capacité du texte à être compris et appliqué par les personnes concernées, soulignant que les décrets d’application qui seront publiés, si le projet de loi est ratifié, définiront les détails techniques et procéduraux nécessaires pour activer ses exigences, en assurant la réalisation de ses objectifs et de ses buts pratiques.
Il a souligné l’engagement du gouvernement à mettre en œuvre le contenu du projet de loi s’il est approuvé, considérant que l’action gouvernementale seule ne suffit pas pour atteindre les objectifs souhaités dans la lutte contre la corruption, à moins qu’elle ne soit accompagnée d’une coopération efficace et globale de tous les acteurs nationaux pour faire face à ce phénomène complexe, appelant les députés à jouer leur rôle dans cet effort national collectif pour renforcer la transparence et consacrer l’État de droit.
S’agissant du projet de loi relatif à la déclaration des biens et des intérêts, le ministre de la Justice a expliqué qu’il vient combler les lacunes juridiques apparues au cours des 18 années de pratique de la loi n° 054-2007 relative à la transparence financière dans la vie publique, et répondre aux observations de l’examen des dispositions de la Convention des Nations unies contre la corruption (CNUCC).
Il a indiqué que le projet de loi est le résultat d’un travail continu sur plusieurs mois, qui a comporté un examen des expériences juridiques nationales et une comparaison avec la législation de certains autres pays dans le domaine, afin de sélectionner les meilleures approches possibles, notant que sa préparation a pris en compte la nécessité d’harmoniser les règles juridiques proposées avec les caractéristiques sociales et contextuelles du pays pour assurer son efficacité et son réalisme dans l’application.
Le projet de loi vise à renforcer la transparence, à prévenir les conflits d’intérêts, à lutter contre l’enrichissement illicite et à enraciner l’intégrité et l’éthique dans la vie publique, notant qu’il prévoit la déclaration obligatoire des biens et des intérêts, tout en élargissant le champ d’application de l’obligation à de nouvelles catégories d’agents publics, et exige des personnes soumises à ses dispositions qu’elles déclarent leurs intérêts ainsi que leurs biens et ceux de leurs enfants mineurs, tout en établissant un mécanisme clair de prévention des conflits d’intérêts.
Il a précisé que tout projet de loi qui prévoit des mesures administratives punitives comprendra des peines privatives de liberté et des amendes financières imposées aux contrevenants, ainsi que la publication et la mise à jour des données relatives aux déclarations de certains hauts responsables tels que le Président de la République, le Premier ministre, les membres du gouvernement et postes assimilés, notant que le projet de loi fournit à l’Autorité nationale de lutte contre la corruption les outils juridiques nécessaires pour traiter et contrôler les déclarations de manière efficace et efficiente.
Dans leurs interventions, les députés ont apprécié les deux projets de loi et la volonté qu’ils expriment de faire face à l’un des défis les plus graves qui menacent le pays, soulignant que la corruption est un phénomène complexe que les lois, aussi strictes soient-elles, ne peuvent pas affecter tant qu’elle trouve un incubateur dans la société, un soutien dont elle tire sa légitimité, et des pratiques politiques qui l’encouragent et lui fournissent l’environnement approprié pour se poursuivre et s’étendre.
Certains députés ont exprimé leur crainte que la révision des textes juridiques et la multiplication des agences de lutte contre la corruption ne se substituent à la lutte effective contre le fléau, avertissant que les lacunes du projet de loi et les concepts qui peuvent être interprétés dans différentes directions risquent de vider le texte de son contenu transformateur, surtout s’il y a une sélectivité dans le traitement des dossiers, la persistance d’une culture d’impunité et l’absence de mécanismes efficaces de suivi de la mise en œuvre de cette forme de loi.
Ils ont exprimé leurs craintes que l’autorité nationale chargée de la lutte contre la corruption, devant laquelle les personnes obligées de déclarer, se transforme en une simple archive de déclarations, incapable de remplir ses missions en raison du grand nombre de personnes obligées de déclarer devant elle, tandis que d’autres ont estimé que la liste des personnes qui devraient être obligées de déclarer n’était pas complète car les parlementaires n’y figuraient pas malgré la définition des agents publics dans l’article premier du projet de loi.
Ils ont souligné l’importance de respecter et de préserver les données personnelles, et de prévoir une protection spéciale pour les lanceurs d’alerte afin de les encourager à dénoncer les pratiques préjudiciables au pays.
Ils ont appelé le gouvernement à prendre des mesures accompagnant la mise en œuvre du projet de loi, y compris l’indexation de toute personne soupçonnée de corruption et l’organisation de programmes nationaux de sensibilisation visant à restaurer l’autorité de la conscience et l’éthique de la vie publique. AMI