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un grain de sable pour secouer la poussière...

Mohamed Ould Abdel Aziz: «On me fait payer le fait de vouloir exister en tant qu'homme politique»

Jeudi 13 Mai 2021 - 12:17

C'est un homme en colère qui est ce jeudi matin 13 mai l'invité Afrique de RFI. L'ancien président mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz, dont l'une des résidences vient d'être visitée par les enquêteurs à la recherche de « biens mal acquis ». L'ancien chef d'État se dit victime de harcèlement judiciaire et affirme qu'on cherche à le faire taire. Il est l'invité de Laurent Correau. 

RFI : Comment s’est déroulée la commission rogatoire qui a conduit à la fouille de votre résidence de Benichab ?

Mohamed Ould Abdel Aziz : Elle a très mal commencé, dans la mesure où j’ai été visité assez tôt le matin, au moment où je sortais de chez moi pour aller me présenter à la police, comme exigé par le juge d’instruction. Je trouve devant moi des gendarmes qui me disent : « Nous allons partir à Benichab ». J’ai pris quelqu’un de la maison, il est parti avec eux. Arrivés sur place, ils ont commencé à fouiller la maison de fond en comble, à perquisitionner sans ménagement ma chambre à coucher personnelle et la chambre de madame… À fouiller un peu partout, jusqu’à aller casser des carreaux sur une profondeur de deux mètres dans deux des chambres, sur une largeur de deux à trois mètres.

Et finalement, ils n’ont rien pu détecter, parce qu’il n’y avait absolument rien à détecter. Nos habits étaient dans les armoires, nous avions des valises où il y avait des effets personnels… C’est tout. Il n’y avait absolument rien d’autre. Ils ont ouvert un coffre à la maison, aussi. Pour preuve, qu’il n’y avait absolument rien, les clés étaient accrochées à la porte du coffre… ils ont ouvert, mais il n’y avait absolument rien. Il y avait un sabre, c’est tout. Un objet d’art, pratiquement, et deux vieilles armes de calibre 12 qu’ils ont d’ailleurs laissées sur place…

En partant ils ont emmené le drone d’un de mes petits-fils, ils ont emporté un disque dur qui était sur place. Je crois que c’est le disque dur des caméras de surveillance de la maison. Je ne sais même pas pourquoi ils l’ont amené. Ils ont amené un vieil appareil qui appartenait à mon défunt fils, avec des petits effets personnels, tel que l’un de mes téléphones qui était sur place, quelques puces téléphoniques et c’est tout. C’est tout ce qu’ils ont pu ramener avec eux. Il n’y a pas eu 65 kilos d’or, comme ils ont voulu faire passer ce message, ni 100 milliards de francs CFA…

Ensuite je ne les ai plus revus. Cette mission ne s’est pas représentée à moi, après. Ils ne m’ont fait signer aucun papier.

Et cette commission rogatoire, justement, cherchait des lingots d’or dans votre résidence. Est-ce que vous avez détenu des lingots d’or à un moment donné ?

Je n’ai pas détenu, je n’avais pas de lingots d’or sur place. Je n’en ai pas ici, chez moi et je n’en ai nulle part. Quand bien même je pouvais en détenir… Les lingots d’or en Mauritanie s’achètent avec de l’argent. J’ai déclaré mon argent, j’ai de l’argent et je n’ai jamais nié le fait que j’ai de l’argent. Mais l’État n’a qu’à prouver que j’ai détourné de l’argent dans l’une de ses structures, tel que le Trésor public, la Banque centrale ou les établissements publics… Ou que j’ai été l’objet d’un acte de corruption de la part de qui que ce soit, que ce soit une société nationale ou une société étrangère. C’est tout ! Mais est-ce que j’ai de l’argent ? Effectivement, j’ai de l’argent.

Selon vous, monsieur le président, pourquoi cette commission rogatoire ? Pourquoi a-t-elle été déclenchée ?

C’est un processus. A chaque fois que je parle de la situation politique de ce pays, à chaque fois que je mets en exergue l’échec du gouvernement, ils commencent à me mettre des bâtons dans les roues. Tout ce que je suis en train d’endurer actuellement est le fait des politiques qui se sont agglutinés autour du président actuel et qui étaient, pour la plupart, des opposants de mon pouvoir passé. C’est une procédure qu’ils ont engagée pour régler leurs comptes et le président les a accompagnés de manière passive.

Cette histoire a commencé il y a de cela une année et quelque, depuis novembre 2019. Quand je suis revenu, j’ai trouvé que le parti que j’avais créé [l’UPR l’Union pour la République, NdlR] était en train de se disloquer, par le fait de quelques individus issus de sa région, pour la plupart, malheureusement. Quand j’en ai parlé avec lui, il m’a dit : « Non, c’est le parti-État ». Je lui ai dit « Écoutez… On ne doit pas parler de parti-État. Nous ne souhaitons pas être dans une dictature. Donc ne parlez pas de parti-État ».

« C’est un parti que j’ai créé, effectivement. Je ne cherche pas à diriger ce parti. Je ne l’ai jamais dirigé depuis que je suis à la présidence, parce que la Constitution me l’interdisait, mais ce n’est pas votre parti, vous n’en êtes même pas membre. Jusqu’à présent, vous n’avez pas adhéré à ce parti, ne me dites pas que c’est votre parti et que c’est le parti-État ». C’est comme cela qu’ils ont commencé à réunir tous les conseillers municipaux et les parlementaires, pour essayer de se créer une référence, un lien avec un parti qui n’existe pas, qui n’a rien de juridique.

Est-ce que vous voulez dire, monsieur le président, qu’on vous fait payer le fait que vous ayez voulu garder le contrôle de l’UPR, l’Union pour la République ?

On me fait payer le fait de vouloir exister en tant qu’homme politique de ce pays. C’est tout. Le président en personne est entouré par des individus qui veulent s’accaparer du pouvoir et qui se sont partagé les biens de ce pays. Et pour preuve, je vous donne l’exemple de la présidence : en quittant la présidence, le budget était d’1,1 milliard et quelques millions de nos ouguiyas. Il est passé à 3,3 milliards d'ouguiyas, juste en quatorze mois après mon départ. Il a été multiplié par trois. Ces augmentations sont destinées à financer la presse, les partis politiques d’opposition (la plupart des partis), pour faire taire tout le monde. C’est ce qui s’est passé. Avant que je ne fasse le communiqué que j’ai fait, pour décrier la situation politique, la misères et l’insécurité que vivent nos populations, personne n’en parlait dans ce pays.

Vous avez le sentiment qu’on veut vous faire taire ?

Non, je n’en ai pas le sentiment, j’en ai la certitude. À chaque fois que je parle, on me convoque à la police, on m’embête. Je ne suis pas assigné à résidence, parce que je le suis depuis dix-huit mois ! Je suis, maintenant, séquestré chez moi. Je ne peux pas sortir de chez moi. « Vous ne sortez de chez vous que pour aller signer à la police ».

Pourquoi on ne me laisse pas en paix ? Pourquoi on ne me laisse pas parler ? On me fait taire, parce que je dis la vérité et que je ne fais pas partie des gens qu’ils arrivent à corrompre et je ne fais pas partie de gens qui ont peur d’eux. C’est tout ! Il n’y a que deux catégories d’individus dans ce pays : ou, vous avez peur de ce gouvernement et vous ne parlez pas ou, vous avez intérêt à ne pas parler, on vous verse de l’argent, on recrute vos enfants dans l’administration, on vous accorde des faveurs et des passe-droits… Je fais partie de la troisième catégorie qui ne suit pas ces tendances.

Est-ce que vous pensez que vous inquiétez le président Ghazouani ?

Je les inquiète tous, pas Ghazouani seulement. J’inquiète Ghazouani, j’inquiète son gouvernement… Parce que j’estime qu’ils ne sont pas sur la bonne voie. Ce sont des gens qui n’ont aucune vision pour le pays. La gabegie, le clientélisme et la corruption se sont développés dans ce pays. Rien n’est fait, il n’y a pas un projet, les populations souffrent… Tout cela est un échec.

C’est une très vieille amitié qui vous liait au président Ghazouani. Ceux qui vous connaissent tous les deux disent que cette amitié s’est nouée dans les années 1980. Est-ce que vous n’êtes pas surpris par la façon dont cette amitié a évolué ?

Cette amitié effectivement est là, elle a existé, mais elle n’a pas résisté à cette situation. Effectivement, on était amis pendant plus de quarante ans. Il a travaillé avec moi, sous mes ordres la plupart du temps. Je l’ai protégé, il a bénéficié de toute ma protection pendant toute cette période. Maintenant, je ne cherche pas sa protection. Je suis un homme politique. Cette amitié ne peut pas se faire et ne peut pas continuer sur le dos du peuple mauritanien, ni toucher aux intérêts de la République.

Qu’est-ce qui fait que cette amitié a éclaté, selon vous ?

Cette amitié a éclaté parce qu’on est complètement différents ! On n’est plus sur la même voie ! J’ai ma vision et lui il en a peut-être une. Il est entouré de gens qui l’orientent… Et vous savez, le malheur dans tout cela, c’est que ce sont des caciques de tous les pouvoirs passés, à commencer par celui de Maaouiya ould Taya qui sont revenus. Ce sont des gens qui sont connus pour avoir retardé, pour avoir pillé, pour avoir volé et violé toutes les lois de cette République, volé tous les biens de ce pays ! Et c’est tout !

Pour revenir à la procédure qui vous vise, vous refusez de répondre aux questions des enquêteurs. Est-ce que le meilleur moyen de faire la lumière ne serait pas, tout de même, d’accepter de répondre à la justice ?

Ecoutez, je ne peux pas renoncer à mes droits pour en avoir d’autres. Cela, je l’ai dit clairement à l’instruction. Ils me disent : « Si vous aviez collaboré avec la justice, on aurait quand même pu alléger un peu toutes les restrictions, tout ce que vous endurez ». Je leur ai dit : « Moi, c’est vrai, j’endure beaucoup — ils m’ont fait endurer n’importe quoi et c’est illégal —, Mais je ne peux pas renoncer à mon droit. Je suis protégé par l’article 93 ! »

Mais est-ce que vous seriez prêt, tout de même, à faire la lumière sur ce qui s’est passé, sur les faits qui vous sont reprochés ?

Je suis prêt et je le fais quotidiennement par voie de presse.

Pour faire la lumière est-ce que vous seriez prêt à accepter un procès ?

Mais je suis obligé d’accepter un procès ! Comment je pourrais refuser ? Je suis dans une république quand même et nous avons une justice ! Ils veulent que je renonce à mes droits, pour que l’on m’accorde des droits que me garantit la constitution de la République : le droit de sortie, le droit de mouvement, le droit, même, de parler. Mon problème est un problème politique. Il n’y a rien à comprendre là-dedans. C’est un problème politique et c’est tout ! Mohamed Abdel Aziz doit s’arrêter de faire de la politique. C’est tout.

Vous aviez justement l’intention de reprendre la politique au sein du parti Ribat Al Watani de Saad Ould Louleid. Est-ce que vous avez pu mettre ce projet en œuvre ?

Je suis en plein dedans. Nous avons commencé et des milliers de participants m’ont rejoint. Ils ont adhéré à ce parti, ce qui a déstabilisé un peu le pouvoir, actuellement. Ils ont fermé l’un de nos bureaux, parce qu’ils ne voulaient pas de ce parti, mais je suis décidé et déterminé à faire de la politique.

On dit souvent que la meilleure défense c’est l’attaque. Est-ce que c’est la raison pour laquelle vous avez décidé de reprendre la politique ?

Non, ce n’est pas cela. Je ne me défends pas en faisant de la politique. Je sais que c’est la politique qui m’a amené tous ces problèmes, mais je continuerai à faire la politique, quel qu’en soit le prix à payer. S’ils misent sur le fait que je vais sortir un jour de ce pays pour les laisser ici piller le pays, comme ce qu’ils sont en train de le faire, eh bien ils perdent leur temps.
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