Les récentes pluies diluviennes de Nouakchott ont mis à nu la fragilité des infrastructures d’assainissement et démontré la gravité des conséquences du changement climatique sur notre vie économique et sociale. Déjà le coût annuel des maladies hydriques est estimé à 0,5% du PIB et pèse 12,2% du budget de la santé. Mais à toute chose, malheur est bon !
La douloureuse expérience que vient de vivre notre capitale nationale doit nous servir de leçon. Elle doit nous armer d’une détermination ferme et résolue : plus jamais ça ! L’assainissement de Nouakchott est à ses débuts ; c’est une tâche titanesque qui dépasse les moyens de l’État et même ceux de l’économie nationale.
Voilà pourquoi nous devons sans tarder faire appel aux financements destinés par la communauté internationale à l’adaptation climatique.
Faire appel à la finance climat
Il ne s’agit pas d’une charité mais tout simplement de l’application au niveau international du principe du pollueur payeur. L’Article 9 de l’Accord de Paris a bien posé le principe de la «responsabilité commune mais différenciée» et les rapports du GIEC ont suffisamment bien démontré que les fortes inondations de Nouakchott, Douala ou Durban ne sont que la conséquence du réchauffement climatique ; tout comme la fonte des glaciers en Islande. C’est pourquoi l’ONU a tiré la sonnette d’alarme depuis quelques décennies ; à l’occasion de plusieurs conférences et sommets : Stockholm en 1972 avec la création du PNUE, Nairobi (1982), Riode Janeiro (1992) avec l’adoption de la « Déclaration de Rio », l’« Agenda 21 », et les conventions internationales sur le changement climatique, et celle sur la diversité biologique Rio +5 en 1997 (Déclaration sur l’Agenda 21), Johannesburg (Sommet mondial
pour le développement durable en 2002)...
En 2015, l’accord historique conclu lors de la Conférence de Paris sur les changements climatiques (COP21) devient contraignant pour les parties contractantes à partir de la date de son entrée en vigueur ; soit le 4 novembre 2016. Ce processus est continu et mis à jour par des sommets annuels ; le dernier en date étant la COP26 qui a donné le Pacte de Glasgow sur le climat. L’une des décisions phares de cette COP est l’engagement pris par les pays développés, de doubler la finance relative à l’adaptation par rapport au niveau de 2019 et ce d’ici 2025.
Pour ce qui est de l’eau, à la suite la Conférence intergouvernementale de Mar Del Plata (1977), l’ONU a adopté une résolution (en 2010) qui "reconnaît que le droit à l'eau potable et à l'assainissement est un droit de l'homme, essentiel à la pleine jouissance de la vie et à l'exercice de tous les droits de l'homme" (Résolution de l’AG 64/292). Le sixième objectif du développement durable ODD6 n’est autre que l’accès universel et équitable à l’eau potable, à l’hygiène et à l’assainissement d’ici 2030, en particulier pour les populations vulnérables.
Sans rentrer dans les détails, disons qu’il n’y a jamais eu autant d’argent disponible pour le financement de l’adaptation aux changements climatiques que de nos jours. Seulement il faut savoir taper à la porte qu’il faut, avec le plaidoyer qu’il faut et surtout avec un dossier bien ficelé car autant les financements sont disponibles autant la concurrence pour les obtenir est féroce. C’est ainsi que la diplomatie environnementale de l’Afrique du Sud a réussi à obtenir environ 5,5 milliards de dollars de financements ; un record pour l’Afrique !
Sources de financement intarissables
Les sources du financement multilatéral sont multiples. C’est tout un monde où il n’est pas toujours facile de s’orienter ; l’essentiel étant le mécanisme de financement climatique de la CCNUCC (Fonds vert pour le climat, Fonds d'adaptation de l’ONU, Fonds pour les pays les moins avancés, Fonds spécial pour les changements climatiques, Fonds pour l'environnement mondial). Mais il y a également les fonds pour des investissements propres (Fonds pour les technologies propres, Programme pilote pour la résilience climatique) et d’autres sources diverses de financements (Fonds en fiducie de la Coalition pour le climat et l’air pur-CCAP) ; Centre et réseau des technologies climatiques (CTCN), Initiative de système d’alerte précoce aux catastrophes du climat (CREWS) ; Initiative de renforcement des capacités pour la transparence (CBIT), Dispositif transformatif de financement des actifs carbone (TCAF).
Le financement bilatéral prend aussi de plus en plus d’importance. Citons en les plus importants : Coopération UE (Alliance mondiale contre le changement climatique ; principal outil de coopération de l’UE en matière de changement climatique, Facilité mondiale pour la prévention des risques de catastrophes et le relèvement (GFDRR) ; par ex. subvention de 13 milliards de FCFA via le 11e FED pour les systèmes de collecte et de gestion des eaux pluviales; Fonds de développement nordique (NDF) qui gère les dons des pays nordiques (Danemark, Finlande, Islande, Norvège et suède) destinés à la lutte contre le réchauffement climatique ; Affaires mondiales Canada, et Environnement et Changement climatique Canada (engagement quinquennal du Canada pour le financement climatique de 5,3 milliards de dollars), Agence japonaise de coopération internationale (JICA) avec 40 projets dans 18 pays d’Afrique soit environ 2 milliards de yens, Agence française de développement (avec le programme Adapt’Action, «Facilité 2050 », pour le Sénégal par exemple 20 milliards de francs CFA pour deux projets de lutte contre l’érosion côtière et les inondations, un financement de plus de 35,5 millions d’euros pour le Programme d’assainissement pluvial de Cotonou, participation à la construction d’un canal de drainage des eaux de pluie à Ouagadougou long de 5 km, etc. Coopération OIF, Coopération allemande, Alliance Sahel (Allemagne, France et Union européenne), Centre de coopération environnementale Chine-Afrique...
L’Union africaine intervient à travers la Commission Climat pour la région du Sahel et le Plan d’investissement Climat de la région Sahel. Elle a aussi adopté la Stratégie et le Plan d'action de l'UA sur le Changement climatique et le Développement Résilient (2022-2032). La création du Comité des chefs d’États et de gouvernements africains sur le changement climatique (CAHOSCC) épaulé par la CMAE a beaucoup renforcé la position de négociation de l’Afrique au sein des instances internationales. Ainsi plusieurs initiatives africaines ont été adoptées : l’Initiative africaine pour les énergies renouvelables, l’Initiative pour l’adaptation de l’agriculture africaine ; la Muraille Verte. En outre, l’UA coopère avec la CEA pour la mise en œuvre du Programme d’action pour l’application du Cadre de Sendai pour la réduction des risques de catastrophe (2015-2030) en Afrique.
Comment nos voisins utilisent-ils la diplomatie environnementale ?
Prenons l’exemple du Sénégal. Ce pays a une longueur d’avance en matière de mobilisation de la finance climatique notamment au service de l’assainissement. Il est servi par une diplomatie dynamique ; présente là où il faut quand il le faut. C’est d’ailleurs le Sénégal qui représente notre circonscription électorale (Burkina Faso, Cabo Verde, Tchad, Guinée-Bissau, Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal, Gambie) au Fonds pour l'environnement mondial (FEM) depuis novembre 2019.
Le Sénégal a accueilli en mars 2022, le 9e Forum mondial de l’eau, coorganisé avec le Conseil mondial de l’eau (environ 800 organisations de 180 pays et 1500 participants directs).
Avec la présidence de la Conférence ministérielle africaine sur l’environnement (CMAE), le Sénégal est sur tous les fronts pour diriger au nom de l’Afrique les négociations des 6 points
laissés en suspens par la COP26.
La CDN du Sénégal, validée fin 2020,s’élève à environ 13 milliards de dollars et la diplomatie environnementale sénégalaise cherche des financements à travers tous les mécanises y compris le marché carbone. Dans ce sens, des accords bilatéraux ont déjà été signés avec des pays comme le Japon et la Suisse. Au début de 2021, le Sénégal avait une dizaine de projets approuvés par le Fonds vert pour le climat (FVC), pour un montant global de 150 millions de dollars.
La première phrase dans la stratégie conjointe EU - Sénégal (2018-2023) est : ‘’Le Sénégal est un allié stratégique et privilégié de l'Union européenne et de ses États membres, qui étant les bailleurs principaux, entretiennent avec le Sénégal des relations solides et de longue date’’. Ce qui reflète bien le branding du pays et son positionnement diplomatique.
Pour ce qui est de l’assainissement, le Sénégal est bien servi par l’Office national de l’assainissement du Sénégal (ONAS) qui est plutôt performant malgré les inondations répétées auxquelles il fait face. Placé sous la double tutelle du Ministre de l’Eau et de l’Assainissement et du Ministre des Finances, l’ONAS a des résultats tangibles et des indicateurs de performance honorables : un bon taux d’accès à l’assainissement (73% en ville), 25 stations de pompage à Dakar, 9 stations de traitement des boues de vidanges (STBD) en délégation au privé, une technologie d’assainissement innovant (omni-processeur et omni-digesteur), un bon taux d’exécution du budget pour les eaux pluviales avec une vingtaine de bassins de rétention et quarante stations de pompage, 11 financements bouclés pour une partie des 42 Plans directeurs d’assainissement (PDA) élaborés, la rénovation de 300 km du Réseau d’assainissement de Dakar, et l’exécution du Programme décennal de lutte contre les inondations (PDLI) 2012-2022. La vision de l’ONAS est on ne peut plus éloquente et bien méritée : "Un établissement public moderne et performant, moteur de l'accès universel à l'assainissement à l'horizon 2030" !
Quelles sont les bonnes pratiques en matière d’organisation ?
En Algérie, le ministère des Affaires Etrangères a dédié toute une direction à l’environnement. C’est la direction de l’environnement et du développement durable avec deux sous-directions.
La Tunisie a institué au sein du ministère des Affaires Etrangères, en 2018, une division de l'environnement et du changement climatique qui est responsable de: ‘’la coopération avec le programme des Nations Unies pour le Développement, le programme des Nations Unies pour l'Environnement, le Fonds pour l'Environnement mondial et les autres institutions onusiennes et internationales chargées de l'environnement et du changement climatique’’.
Quelles sont les bonnes pratiques en matière d’organisation ?
Etant donné la complexité et la prolifération des problématiques environnementales, plusieurs pays ont réorganisé leur diplomatie pour tenir compte de cette nouvelle donne.
Outre la Direction des Nations Unies et des Organisations Internationales, le Maroc a une Direction de la Coopération Multilatérale et des Affaires Economiques Internationales et un Service du Développement Durable et de l'Environnement au sein de la Direction des Questions Globales.
Un pays comme la France a déjà intégré l’importance des questions environnementales dans sa diplomatie. Ainsi, il est créé à partir de mars 2009, au sein du MAE, une direction générale de la mondialisation avec trois sous-directions dont une sous-direction énergie-climat, et travaillant suivant une approche transversale. En outre, cette direction, en accord avec le pôle international du ministère chargé de l’Ecologie, a été renforcée par la nomination d’un réseau de 96 correspondants environnement au sein des missions diplomatiques.
Que pouvons-nous faire ?
A notre humble avis, la catastrophe des inondations de Nouakchott doit être l’occasion de revoir tout ce qui n’a pas bien marché durant la crise ou qui peut être amélioré : logistique, action humanitaire, plans d’intervention, communication, mobilisation des secours, efficacité, prévisions, plan national de contingence multirisque, Plan d'action national d’adaptation (PANA), textes relatifs à l’eau et à l’assainissement, ... Ce qui est certain, c’est qu’il doit y avoir un avant et un après cette catastrophe et que l’hivernage prochain se prépare dès aujourd’hui!
Le rôle du ministère de l’Environnement en tant que point focal auprès de la galaxie internationale doit nécessairement être revisité avec une lettre de mission définissant les objectifs et les indicateurs de performance. Cette mission a besoin d’un bras diplomatique capable de négocier et de saisir les opportunités suivant les règles de l’art. Nous devons saisir l’opportunité de la tenue des prochaines conférences en terre africaine et arabe (COP27 en Egypte et COP28 aux Emirats) pour faire avancer notre agenda. C’est une occasion à ne pas manquer mais cela demande la mise à jour de la stratégie d’ensemble !
En somme, il est clair que comparaison n’est pas raison. Cependant ce que le Sénégal arrive à faire, la Mauritanie peut évidemment le réussir. Tout est question de volonté !
lecalame