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un grain de sable pour secouer la poussière...

De la linguistique pour expliquer l’existence ou la persistance de l’esclavage coutumier chez les Soninkés du Guidimakha

Mercredi 1 Septembre 2021 - 14:44

Le lexique d’une langue est un répertoire plutôt une base de données  où  sont stockés tous les mots de cette langue.

Il s’agit d’un inventaire extensible  suivant la compétence et la performance linguistiques du locuteur.

Au-delà d’être une liste infinie de mots  dans  laquelle  puisent tous les locuteurs d’une  langue, le lexique reste un marqueur de la vitalité et du dynamisme  de la langue.

Par ailleurs, les mots ne sont jamais neutres et «innocents » : ils sont toujours l’expression  d’une manière d’être, de penser, de voir, de se représenter,  de présenter le monde et la cosmogonie.

Les mots disent plus que ce qu’on entend. Ils sont trop bavards. Il suffit d’avoir la compétence  et le génie de les interroger. Ils véhiculent donc   toute  une philosophie sociale et populaire, culturelle, cultuelle, historique, empirique, d’une société etc.

Ainsi, le lexique reste le référentiel le plus pertinent et éloquent, comme la  « boite noire » qui ne cesse de nous surprendre en révélant tous ses secrets suite à un crash d’avion.

Pour ceux qui ne savent pas, la linguistique est une branche des sciences du langage. Elle se veut descriptive et non prescriptive comme la grammaire : du coup, elle essaie de comprendre, d’expliquer et même de « disséquer » la langue, son objet  d’étude, avec la rigueur et l’impartialité requises, lesquelles constituent l’idéal scientifique.

Ceci dit, je vous propose ce corpus tiré de la langue soninké dans une approche à la fois diachronique et synchronique.

Les mots utilisés ici ne représentent   qu’un échantillon pour illustrer notre propos. Ils correspondent aux différentes manières de nommer les personnes d’extraction servile.

Singulier – pluriel  – signification littérale en français

Kome      –    Komo   : Esclave

Fonlenme  – Fonlenmu    : littéralement petites gens ou encore  qui est diminué, inachevé, retardé, incomplet, déficitaire  aux sens physique, morale, éducationnel et congénital.

Tunbare         –  Tunbaru : c’est spécifique aux femmes, l’équivalent d’esclave “Kome” qui s’emploie pour l’homme et la femme.

Kabu       –  kabunu : signifie le nombre neuf. Autrefois, pour compter les Soninké procèdent  par des tas de dix pour après faire le total. Ainsi dix «  Tanmu », est complet,  correspond à la noblesse par opposition à neuf (en manque).

Liberte –  Liberte : vient du français liberté, très usité en ce moment par ce qu’il veut dire un esclave récalcitrant, révolté ou/et  insubordonné.

Comme on peut le constater, ces mots sont, aujourd’hui,  encore en usage dans la langue et dans la quasi-totalité des  contrées du Guidimakha,  particulièrement dans le Guidimakha « d’en Haut » par opposition à celui du fleuve (d’en bas) où les populations sont moins réfractaires au changement en raison de l’influence du Sénégal.

Il faut signaler qu’avec  le vent d’émancipation et de liberté, l’usage de ces mots tend à devenir  marginal et circonstanciel.

Autrefois  et encore aujourd’hui, ces vocables traduisent des contenus abjects ; stigmatisants, dégradants, avilissants, déshonorants et méprisables.

Cependant dans un contexte de citoyenneté, de liberté et  démocratie : un homme, une voix, ils sortent  peu à peu de la normalité.

Seuls quelques irréductibles et nostalgiques continuent encore de les utiliser publiquement.

Ils surgissent néanmoins lors  de bagarres  pour froisser, diminuer ou  humilier  une personne d’extraction servile.

Dans les villes, ces « aberrations » sont souvent employées dans les salons ou cercles restreints pour porter  atteinte de manière envieuse à la dignité d’une personne d’ascendance esclave qui a réussi socialement et s’est forgée un nouveau statut social plus respectable.

Au regard de ce qui précède, on comprend aisément que les mots ont connu une « dynamique sémantique » imposée par le temps et le contexte qui échappent heureusement ou malheureusement à la féodalité.

Cette évolution du sens dans la façon de nommer les esclaves est en soi un curseur qui montre la nouvelle trajectoire d’un monde plus  égalitaire et porteur de valeurs universalistes.

Après avoir démontré par  les concepts  la persistance de l’esclavage chez les Soninké et sa mutation sous d’autres formes plus subtiles ou sournoises, à l’image de la plupart des sociétés africaines,  j’entends dire seulement  aux négationnistes qu’ils ont tort de tout nier en  bloc.

La pratique a existé.  Elle a, certes, fait des mus pour s’adapter en intégrant un autre corps, en perdant  de sa vigueur et vivacité. Mais le substrat et la philosophie  de la tradition féodale sont restés  et s’évertuent  vaille que vaille à résister aux appels au changement.

Personne n’a jamais soutenu qu’aujourd’hui au  Guidimakha, il existe  des marchés aux esclaves, des hommes, des femmes et des enfants  traités comme du bétail, taillable et corvéable à merci comme les serfs l’étaient  au Moyen-Age par les Seigneurs. Non !

Il s’agit de montrer tout simplement que les descendants d’esclaves sont victimes d’une forme d’injustice et  de stigmatisation dans les mots, dans les rapports avec les autres au sein de l’espace public communautaire  et dans la gestion  des affaires communautaires.

Cela peut également s’appeler discriminations. En effet, les personnes d’extraction servile sont de facto  défavorisées par la naissance sur la base du  système féodal qui n’est qu’une déclinaison de l’esclavage traditionnel.

Ainsi, l’esclavage tant décrié aujourd’hui chez les Soninkés et même dans la plupart des sociétés africaines ne peut être comparé à la traite transatlantique et orientale, basée sur l’exploitation de l’homme par l’homme, sa déshumanisation et sa négation tout simplement.

Heureusement, le contexte ne le permet plus. Mais les ambitions et  les velléités de la classe féodale restent tenaces et têtues. Elle feint de ne rien entendre  et comprendre, ignorant et  méprisant les aspirations légitimes de la «  majorité silencieuse », comme un dictateur aux dernières heures de son  pouvoir.

 Seyré SIDIBE – Journaliste

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