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2007–2008 : Le rendez-vous manqué d’un pays avec la vertu

Jeudi 4 Décembre 2025 - 10:05

Il y a cinq ans disparaissait Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdellahi, premier président démocratiquement élu de l’histoire de la Mauritanie. Son accession au pouvoir en 2007 avait été perçue comme un tournant historique : pour la première fois depuis l’indépendance, le pays semblait sortir de la longue séquence des régimes d’exception. L’espoir d’un renouveau institutionnel, économique et moral prenait forme. Les élections venaient d’être organisées dans des conditions inédites de transparence et d’inclusivité ; aucun parti n’exerçait d’hégémonie parlementaire ; la liberté de la presse atteignait des sommets rarement égalés dans la région ; les compétences nationales commençaient à revenir d’exil ; et les dossiers les plus sensibles — passif humanitaire, justice sociale, séquelles de l’esclavage — se retrouvaient enfin au centre du débat public.

Ce climat nouveau était porté par une synergie inédite entre gouvernement et militants des droits humains, et renforcé par un enthousiasme international rare. Les États-Unis ne cachaient pas leur admiration pour cette expérience démocratique sans équivalent dans le monde arabe et se disaient prêts à en accompagner la consolidation. La table ronde de Paris en 2007 fut un succès sans ambiguïté, et le Millenium Challenge s’apprêtait à débloquer des centaines de millions de dollars pour soutenir cette trajectoire. Mais ce renouveau fut brusquement interrompu par le coup d’État d’août 2008, révélant à quel point la Mauritanie n’était pas prête à affronter les exigences de la démocratie qu’elle venait pourtant de choisir.
 

Un contexte propice à la déstabilisation
 

Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdellahi incarnait un exercice du pouvoir rare : calme, respectueux de la loi, attaché à la réconciliation nationale et profondément soucieux du bien commun. Il voulait tourner la page des injustices accumulées et restaurer la confiance entre l’État et les citoyens. Sa lettre de mission au Premier ministre lui conférait des marges d’action élargies, tandis que les ministres disposaient de moyens renforcés. Cette nouvelle dynamique permit à certains d’entre eux — notamment Nebghouha Mint Mohamed Vall — de lancer des réformes ambitieuses. Le pouvoir discrétionnaire dans les nominations publiques fut considérablement réduit, ouvrant pour la première fois la possibilité à des fonctionnaires de candidater à des postes de haut niveau selon des critères de compétence. La stricte application de ces procédures permit même à des personnalités issues de l’opposition d’accéder à des responsabilités importantes, comme le rectorat de l’université.

Le président se distinguait également par la franchise de sa communication. Sa longue conférence de presse sur les difficultés des éleveurs durant la soudure de 2007, face à un journaliste de la presse locale, illustrait sa rupture nette avec la propagande et le déni. Il n’y éludait aucune contrainte, refusant de promettre ce que l’État ne pouvait assumer. Cette transparence, rare dans la région, révélait un dirigeant pour qui la vérité n’était pas négociable.

Mais les forces issues de décennies de régimes militaires — réseaux, clientèles, intérêts consolidés — n’avaient jamais accepté l’idée qu’un président civil, démocratiquement élu, puisse exercer un pouvoir réel. Elles trouvèrent un instigateur en la personne du chef de la garde rapprochée du président, qui contrôlait les services sécuritaires. Le contexte, lui, était propice à la déstabilisation : flambée des prix pétroliers, tensions inflationnistes sans précédent, mort d’un manifestant lors d’affrontements mal gérés, attentats meurtriers contre des ressortissants français, annulation du rallye Paris-Dakar. Un climat d’incertitude s’installa, offrant aux adversaires du président un prétexte pour précipiter l’effondrement de l’ordre constitutionnel.

Lorsque le président limogea son Premier ministre, la situation dégénéra rapidement. Moins de dix-huit mois après son investiture, son propre chef de sécurité se retourna contre lui après une simple décision de mutation, pourtant parfaitement conforme à la Constitution. Le putsch du 6 août 2008 pulvérisa en une matinée l’édifice démocratique que les Mauritaniens avaient patiemment bâti entre 2005 et 2007.

 

Dénigrement systématique
 

La junte, aussitôt soutenue par une partie de la classe politique et de la société civile, lança alors une campagne de dénigrement systématique. Insinuations, attaques personnelles, accusations infondées contre le président et sa famille : tout fut mobilisé pour justifier la forfaiture. Mais Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdellahi demeura fidèle à ses principes. Jamais il ne reconnut comme légitime ce qui ne l’était pas. Jamais il n’accepta de cautionner l’ordre issu du putsch, tout en restant ouvert aux compromis permettant une sortie honorable de la crise. Son discours de départ, d’une grande clarté morale, et sa retraite paisible à Lemden ont fini par imposer une vérité : cet homme appartenait à une autre trempe, celle pour qui le pouvoir n’est qu’un instrument au service du droit.
Il existe dans l’histoire des moments où le destin semble imposer, silencieusement mais fermement, une forme de justice. Ceux — nationaux ou étrangers — qui avaient œuvré à la chute du premier président démocratiquement élu en ont souvent fait l’amère expérience. Le chef de sa sécurité, artisan direct du putsch, croupit aujourd’hui en prison pour enrichissement illicite, rattrapé par la légalité qu’il avait violée.

Ahmed Ould Daddah, opposant historique qui avait pactisé avec les putschistes, a terminé sa carrière marginalisé, abandonné par ses compagnons de route de la première heure et par les réseaux qui l’avaient instrumentalisé. Mohamed Ould Bouamatou, figure centrale du monde des affaires, a connu les affres de l’exil forcé et d’une marginalisation politique durable. Mouammar Kadhafi, dont l’ingérence dans la crise mauritanienne fut décisive, fut renversé puis assassiné par son propre peuple. Abdoulaye Wade, soutien ambigu du processus post-putsch, fut balayé par une insurrection démocratique au Sénégal. Nicolas Sarkozy et son puissant directeur de cabinet, dont la diplomatie avait activement contribué à normaliser le coup de force, ont été rattrapés par la justice et portent désormais les stigmates d’une disgrâce profonde. Il ne s’agit pas de se réjouir de ces trajectoires brisées, mais de rappeler qu’en politique, ceux qui sapent l’ordre constitutionnel finissent tôt ou tard par être rattrapés par un ordre moral plus vaste : celui que l’histoire impose dans son implacable lenteur.

 

Une réhabilitation nécessaire
 

Plus de quinze ans après le coup d’État, la Mauritanie persiste pourtant à ignorer l’héritage de son premier président élu. Aucune réhabilitation officielle, aucun travail de mémoire, aucune volonté institutionnelle de tirer les leçons de cet épisode. Cette amnésie en dit long sur l’état moral du pays : la vertu n’y est pas récompensée ; la légalité demeure fragile ; la dignité politique y est perçue comme une faiblesse ; et les valeurs fondatrices de la société — droiture, justice, mesure — semblent reléguées aux marges. L’ordre constitutionnel, vidé de sa substance, a laissé place à un retour assumé de la contrainte comme mode ordinaire de gouvernement. Pendant ce temps, le pays s’enfonce dans un marasme général marqué par un pillage systématique des ressources naturelles et une corruption endémique qui prive les populations des fruits de leur propre sol.

Réhabiliter la mémoire de Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdellahi ne relève donc pas simplement de l’hommage. C’est un impératif national. Son bref mandat nous enseigne que la démocratie ne se résume pas à l’organisation d’élections mais repose sur la loyauté des institutions et la probité de ceux qui les incarnent. Il rappelle que la moralité est une ressource politique, non un handicap. Et il révèle qu’un pays qui trahit ses hommes intègres se condamne lui-même à l’instabilité.
La Mauritanie ne retrouvera pas le chemin du salut démocratique sans reconnaître la valeur de celui qu’elle a injustement renversé. La réhabilitation officielle de Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdellahi serait moins un retour vers le passé qu’un point de départ pour reconstruire l’avenir.

 

Mohamed Ould Ahmed Tolba 
lecalame

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