Deux siècles après le naufrage tragique de la frégate La Méduse en 1816, au large des côtes du Sahara mauritanien, l’événement continue d’habiter la mémoire collective, à la croisée de l’histoire maritime, de l’archéologie, de l’art et du patrimoine. Longtemps résumé au célèbre Radeau de la Méduse de Théodore Géricault, le drame révèle aujourd’hui de nouvelles traces, matérielles et symboliques, profondément ancrées en Mauritanie.
À ce jour, la seule trace matérielle officiellement retrouvée du naufrage demeure un canon, découvert dans les années 1980 lors des campagnes menées par l’archéologue Jean-Yves Blot, et aujourd’hui exposé au Musée National de Nouakchott. Cette pièce unique contraste avec les récits faisant état d’un navire richement chargé et alimente encore les interrogations sur le sort du supposé trésor de La Méduse et des quarante-six autres canons jamais localisés.
La mémoire de ce drame maritime avait déjà été officiellement reconnue par la Mauritanie lorsque, en 1968, à l’occasion du centenaire du naufrage, la Poste mauritanienne émit un timbre commémoratif, inscrivant La Méduse dans le patrimoine mémoriel national et affirmant l’ancrage du drame dans l’histoire du pays.
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Échange culturel saisissant
En octobre 2025, la question du patrimoine subaquatique mauritanien est revenue au premier plan lorsque le ministre chargé de la Culture a reçu à Nouakchott une délégation scientifique conduite par Jean-Yves Blot, accompagnée de la remise d’ouvrages de référence et d’un film documentaire inédit tourné au Banc d’Arguin. Quelques semaines plus tard, la Maison Jeloua accueillait une conférence très suivie du cinéaste Éric Griffon du Bellay, descendant d’un rescapé du naufrage, venu présenter un projet de long-métrage fondé sur des archives familiales inédites.
C’est dans ce contexte mémoriel renouvelé qu’émerge une seconde trace majeure de La Méduse, non plus issue des fonds marins, mais de l’histoire de l’art : la célèbre aquarelle de Théodore Géricault, Le Naturaliste Kumer devant le Roi Zaid. Cette œuvre exceptionnelle sera exposée à Ouadane, lors du Festival des Cités du Patrimoine, dont l’ouverture est prévue le 19 décembre 2025, sous l’égide de l’Association du Patrimoine de l’Adrar (APA).
Longtemps méconnue du grand public, cette aquarelle constitue le seul témoignage iconographique tangible sur la Mauritanie du début du XIXᵉ siècle. Elle représente la rencontre entre Adolf Kumer, savant saxon parlant arabe et rescapé de La Méduse, et Amar Ould Mokhtar, émir du Trarza. L’œuvre restitue un échange intellectuel saisissant : l’émir, admirateur de Napoléon Bonaparte, s’enquiert de son sort, fait tracer une carte situant l’île d’Elbe et s’informe des grands événements du monde.
Les récits de Kumer témoignent d’un niveau culturel remarquable : des enfants sachant lire et écrire dès leur plus jeune âge, des membres de l’entourage princier ayant voyagé jusqu’en Égypte, et une hospitalité qui conduisit le savant sain et sauf jusqu’à Saint-Louis du Sénégal. L’aquarelle révèle ainsi une société ouverte, instruite et connectée aux dynamiques du monde musulman et méditerranéen.
Acquise en juin 2024 après un long parcours sur le marché de l’art, l’œuvre a été rapatriée en Mauritanie par Mohamed Mahmoud Ould Lekhal, dit Meyloud, homme d’affaires et acteur engagé de la préservation du patrimoine. Par ce geste, il inscrit l’art au cœur de la reconstruction de la mémoire nationale et rappelle que la culture demeure un levier essentiel de transmission et de souveraineté mémorielle.
Entre le canon conservé au Musée National et l’aquarelle présentée à Ouadane, La Méduse laisse désormais deux empreintes complémentaires : l’une archéologique, l’autre artistique. Ensemble, elles rappellent que ce drame maritime, survenu face aux rivages mauritaniens, appartient pleinement à l’histoire du pays et continue, deux siècles plus tard, d’interroger la mémoire collective, entre silences de la mer et mystères encore enfouis sous les sables d’Arguin.
Ahmed Mahmoud Mohamed ( Jemal )
Conservateur du Musée -Bibliothèque - Mémoire de la Mauritanie et du Sahara
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Mémoire retrouvée : l’aquarelle de Géricault exposée à Ouadane
