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un grain de sable pour secouer la poussière...

Aleg de mon enfance

Jeudi 12 Novembre 2020 - 09:57

J’ai lu avec beaucoup de plaisir deux beaux textes évoquant des enfances en Mauritanie. Le premier du doyen Bezeïd, intitulé « Mederdra de mon enfance » et l’autre de mon cher collègue Mohamed ould Ahmed Meidah. J’ai éprouvé une vraie jalousie envers tous ces souvenirs rapportés avec tant de verve, détails et précision. Comme en l’idée de « Mémoires d’un enseignant » ou d’« Autour d’un thé », mon cher inspirateur en chef Ahmed ould Cheikh, directeur du Calame, m’a encouragé à imiter mes deux amis. Mais soyez d’emblée avisé que vous ne goûterez hélas pas, en ce que je raconterai, la délectation que j’ai ressentie, moi, en dévorant d’un trait les deux belles productions que j’ai si fortement « jalousées ».
 

Aleg est une vieille cité. Une ville du centre de la Mauritanie où vivent en parfaite cohésion des populations hétéroclites venues des quatre coins du pays et de bien au-delà même. À ce que j’en sais, sa fondation remonterait à l’an 1887, lorsqu’un groupe d’esclaves décidèrent de quitter leurs maîtres et de s’installer au bord du lac, un noyau qui deviendra, sous le nom évocateur de Liberté (Darissa), le premier quartier de la cité. Aleg, c’est aussi Goueïbina ou Lekdeya où les colons choisirent d’installer, vers 1900, leur gouvernance sur un promontoire, comme s’ils voulaient surveiller le mouvement de ces indigènes. Jusqu’à très récemment, la ville ne compta que trois principaux quartiers. Liberté, donc, de la Grande Rue à la brigade de la gendarmerie construite par les Français, agglutinant les maisons des premiers habitants du lieu, avec notamment les descendants des domestiques, chauffeurs, plantons, aides-soignants et autres employés des PTT au service des colons. Jedida, qui n’est en fait qu’une excroissance de Liberté, et Médina, juste derrière les bâtiments administratifs.
 

Quand je naquis en 1966, Aleg n’était qu’un gros faubourg qui ne comptait encore, lors de mon entrée à l’école six ans plus tard, deux écoles fondamentales : l’école 1 et l’école 2. Je me rappelle encore comme si c’était aujourd’hui le jour où ma défunte maman m’emmena avec mon frère nous inscrire à la première. L’hivernage touchait à sa fin. Quelques élèves des cours moyens (CM1 et CM2) arrachaient, sous la supervision du surveillant feu El Hadj Ahmed ould Neda, père de mon frère en Dieu et collègue, l’actuel inspecteur départemental de Boghé, les mauvaises herbes qui avaient envahi la cour. Devant le bureau du directeur, feu Bâ Amadou Chouaïbou de Bababé, se tenaient quelques parents venus inscrire leurs enfants parmi lesquels plusieurs de mes petits amis. Sur un grand registre jaune, le directeur lui-même s’occupait des formalités après avoir exigé des parents un extrait de naissance. Mon père venait juste de faire dresser le mien auprès de feu Vall ould Abdi, père de l’ex-ministre des Affaires étrangères, Dah ould Abdi, et de mon ami Mohamed ould Abdi, et dont les deux filles, Zeynebou et Rakiya, aujourd’hui professeures, entraient à l’école le même jour que moi.
 

En l’attente de notre tour, j’entrepris de découvrir les lieux avec ceux de mes amis présents. C’était une vieille bâtisse construite par les colons dans les années 1930. Elle comprenait, en plus de ses six classes, le bureau du directeur, un magasin scolaire et un atelier pour le menuisier de l’école dont je me rappelle encore très bien le nom : Bâ Oumar, père de Bâ Babou devenu professeur de sciences naturelles. Un robinet marquait le centre de la cour et, un peu à l’écart, à quelques dizaines de mètres, près d’une petite colline en pierre appelée Toueïjila, se tenait le logement du directeur dont la construction datant du colon nargue encore le temps et ses intempéries.
 

En ce mois d’Octobre 1972, l’école 1, c’était le bout de la ville, juste à côté des bureaux de l’hydraulique et de la maison du cadi. Le jour de mon entrée, quelques instituteurs étaient déjà sur place. Je n’en connaissais aucun mais j’appris bientôt qu’il s’agissait du vieux Cheikh ould Haïbelty, alias Monsieur Cheikh réputé pour son élégance, la qualité de son parfum et ses célèbres babouches ; feus Ély ould Breïhalla, Lebatt ould Vatte et Ahmed ould Hamed qui fut mon premier instituteur au cours primaire élémentaire (CPE). Dans la cour, les surveillants, feus El Hadj Ahmed ould Neda et Kally, tous deux originaires d’Agchorguitt, régulaient les mouvements et les turpitudes des élèves, sous l’œil vigilant de Monsieur le directeur. Un homme à la taille imposante qui allait souvent de cours en cours, mains derrière le dos et bonnet impeccablement posé sur la tête.
 

L’école 1 d’Aleg, c’était « toute une civilisation ». C’est vers elle que tout parent emmenait d’abord ses enfants, avant de se voir éventuellement obligé, faute de place, de les conduire à l’école 2 qui n’en était d’abord qu’une sorte d’annexe. Nombre de personnalités nationales furent pensionnaires de celle-là. Entre autres, le premier président démocratiquement élu de la Mauritanie, Sidi Mohamed ould Cheikh Abdallahi, ou le premier directeur administrateur général national de la SNIM, Ismaël ould Amar. À ma connaissance, cette école est d’ailleurs probablement la seule du pays qui fut fréquentée par trois futurs directeurs administrateurs directeurs généraux de la SNIM : Ismaël ould Amar, comme dit à l’instant ; feu Baba ould Ahmed Youra et Mohamed Abdallahi ould Oudaa. (À suivre, incha Allah)
 

Sneiba El Kory

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