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un grain de sable pour secouer la poussière...

Quelques séquences de l’histoire des Kadihines (partie 15) : La tactique de Juillet/Par Ahmed Salem El Mokhtar (Cheddad)

Jeudi 23 Septembre 2021 - 11:21

La tâche d’huile : En 1973, les événements s’accélèrent. Comme une tâche d’huile, le mouvement de contestation submerge tout le pays. Partout, dans les coins les plus reculés, le MND fait entendre sa voix. Dans les villes de l’intérieur, dans les villages et dans les campements, on rencontre des gens se réclamant de lui et défendant ses idées. Des idées, dénonçant d’un côté le gouvernement en place, accusé de représenter les intérêts du néocolonialisme français et d’un autre côté, mettant en cause des pratiques séculaires comme l’esclavage, la domination de la femme et la collision avec la féodalité locale.

Les manifestations se succédaient. Quotidiennement on entendait parler de grèves, de marches, de sit-in et de nombreuses autres formes de protestation, parfois inventées sur place. Le tout accompagné par un mouvement culturel sans précédent : des chants, des danses, de la poésie et autres productions littéraires et artistiques, ainsi qu’une multitude de tracts et de publications. On assistait en réalité à la naissance et au développement d’un mouvement révolutionnaire qui, à la longue, pouvait déstabiliser le système mis en place au lendemain de la proclamation de l’indépendance nationale en 1960 et entériné en 1961par les accords de coopération garantissant les intérêts fondamentaux de l’ancienne puissance coloniale. Le mouvement qui couve dans notre pays est loin d’être unique dans son genre. Depuis «mai 1968 » en Europ,e le monde entier est balayé par une vague généralisée de contestation du système occidental et notamment de ses ramifications néocoloniales dans ce qui est désormais appelé Tiers Monde.
 

Les deux conceptions du monde : Notre prise de conscience déborde nos frontières nationales : nous découvrons le monde extérieur : le charme de son progrès technologique et de sa diversité, la profondeur de ses divisions : capitalisme et impérialisme, socialisme et communisme. La sauvagerie du premier système a engendré le second. Aux inégalités criantes du système capitaliste, le socialisme, surtout dans sa version communiste, prône le partage systématique et l’égalitarisme. Au vingtième siècle, l’après deuxième guerre mondiale fut caractérisé par la guerre froide et la division du monde en deux blocs antagonistes, Est et Ouest.

Dans le conflit tout azimut entre les deux systèmes l’impartialité dans la recherche de la vérité est noyée pendant longtemps dans deux systèmes de propagandes ayant pour unique objectif de stigmatiser l’autre afin de faire prévaloir ses propres valeurs. Tous les moyens étaient bons pour y parvenir.
À l’Ouest, après les ravages de la traite transatlantique et de la colonisation, on soutenait et on favorise la création d’entités-voyous : Israël, l’Apartheid en Afrique du Sud et un État fantoche dominé par une minorité coloniale en Rhodésie. À l’Est, on s’opposait farouchement à de telles entités. Les mouvements de libération en faveur de l’indépendance nationale, notamment au Vietnam et en Algérie, bénéficiaient du soutien ferme et inconditionnel du bloc de l’Est au moment où les grandes démocraties d’Occident se dressaient farouchement  contre la réalisation de leurs objectifs. Certainement, en  ce moment précis de l’Histoire, les intérêts des uns convergeaient avec les nôtres, au moment où nous étions en conflit ouvert avec les autres. Il n’y avait pas donc de raison d’hésiter dans le choix de nos alliés.
 

Notre choix s’impose :Par la force des choses nous sympathisions avec ceux qui nous respectent et qui nous soutiennent—nous cultivions de l’hostilité vis-à-vis de ceux qui nous maltraitent et qui nous font la guerre. Pour les mêmes raisons, on’ échappe difficilement à l’influence des valeurs des premiers, fussent-elles mauvaises. Rien ne justifie qu’on épouse les valeurs des autres, fussent-elles bonnes. Ceci est d’autant plus vrai que les seconds, les impérialistes, ne nous proposent nullement leurs valeurs positives comme à titre d’exemple la démocratie pluraliste. Conformément à leurs intérêts profondément égoïstes, ils les gardent pour eux, tout en nous imposant des systèmes politiques dictatoriaux et répressifs, jugés plus compatibles avec leurs intérêts spécifiques.

Au lendemain des indépendances formelles, on poussa les nouveaux régimes néocoloniaux à abolir la petite marge de pluralisme politique et syndical au profit de régimes autoritaires à parti unique et aux élections truquées. La Guinée de Ahmed Sékou Touré est sanctionnée par la France par un embargo mortel pour avoir voté « non » au diktat français (Référendum de septembre 1958). Exactement le même  comportement des USA à l’égard de Cuba de Fidel Castro. Ce dernier fût puni pour son nationalisme visant uniquement à défendre les intérêts de son pays. En accédant au pouvoir, Castro se démarquait nettement du communisme. Il a cherché désespérément à garder une forme de coopération avec les USA.
 

Nous sommes tous enracinés dans la croyance religieuse : Les bons croyants ne cessent de prier pour bénéficier du Paradis et s’éloigner de l’enfer. Dans la même logique, nous soutenons ceux qui nous veulent du bien et nous haïssons ceux qui s’acharnent contre nous pour nous faire du mal. Voilà ce que nous dicte notre raison humaine… voire notre instinct animal.
 

Les poissons dans l’eau : Notre mouvement installa un réseau sophistiqué de liaisons. Des codes furent inventés à chaque fois pour garantir le secret du contenu des correspondances. Les agents de liaison furent choisis parmi les meilleurs militants, les éléments les plus trempés. Le courage et le sens de la discrétion sont les premières qualités exigées d’eux. Des amis comme Dah Ould Sid Elemine, Ahmed Ould Ahwoueibib et feu Mohamed alias Bouverra, des vaillants agents de liaison, assistés de près par feu Beden Abidine, en donnèrent l’exemple. On les choisissait souvent pour les missions les plus difficiles. Les réseaux de renseignement du régime sont truffés de sympathisants à notre mouvement. Ils ne cessent de nous informer volontairement. De nombreux jeunes, appartenant aux forces armées et de sécurité, se réclament de nos idées.

La révision des accords de coopération avec la France, entamée en 1972, n’a pas réussi à endiguer le flux ascendant du mouvement politique contestataire. Néanmoins, elle a permis, au niveau de l’enseignement, d’ouvrir la voie à la réforme de 1973, mettant fin à la subordination de notre système d’enseignement à celui de l’ancienne puissance coloniale, permettant ainsi au pays d’envisager librement ses propres réformes. Ce fut également le cas lors de la création de la monnaie nationale l’Ouguiya, le 30 juin 1973. C’était le jour de l’éclipse historique, l’éclipse totale du soleil, appelée éclipse du siècle. L’événement était programmé par la communauté scientifique depuis plusieurs décennies. Je me trouvais à Akjoujt, son centre de gravité. Depuis presque une année, Akjoujt est devenue la capitale scientifique du monde. Venant de divers continents, des dizaines de savants, certains accompagnés par leurs familles, y élirent domicile. On y installa une station de lancement d’un satellite chargé d’observer le phénomène au moment du déroulement de l’éclipse. Lucien Barnier, le grand chroniqueur scientifique de Radio France était présent. Ses pittoresques reportages nous ont beaucoup familiarisés avec les phénomènes scientifiques. Il décédera peu de temps après.
 

L’éclipse du siècle : À Akjoujt, on était les privilégiés du siècle : nous avons eu l’exceptionnelle chance de voir, dans une obscurité totale, un ciel étoilé, aux environs de 9 heures 12mn du matin. J’étais à côté de l’imam de la ville qui priait devant sa mosquée, suppliant la bénédiction divine pour empêcher l’événement, jugé par lui comme une manifestation de la sorcellerie. Quand il sentit l’obscurité le submerger, il rentra en catastrophe dans sa mosquée, cette fois-ci pour prier et solliciter Dieu de lui ramener le jour en plein jour !
Devant la recrudescence des luttes politiques, l’aile supposée éclairée du régime, tenta d’ouvrir une brèche dans le système obscurantiste du régime.

Dans un discours, en réaction à un article fleuve du mensuel français le Monde Diplomatique dénonçant la répression en Mauritanie, le jeune ministre de l’information, Ahmed Ould Sidi Baba, tenta de faire baisser la tension. Il voulut envisager, bien que timidement, une forme d’ouverture en direction des jeunes. En catastrophe, Ahmed Ould Mohamed Saleh, son homologue de l’intérieur, n’était pas de cet avis. Il tint un meeting au cours duquel il n’avait cessé de vilipender le mouvement MND et de le présenter à l’opinion comme la pire des choses que pouvait connaître le pays. « Ce mouvement », indiqua-t-il, «envisage de tout détruire et après on verra, disent ses dirigeants », selon Ould Mohamed Saleh. Il annonça tout un dispositif d’une campagne systématique de répression. Dans ce cadre, les locaux de l’ancienne préfecture de Beyla, au Ksar, furent transformés en prison politique, une sorte de Bastille. La préfecture fut transférée à Ouad Naga. Les autorités administratives de l’intérieur furent chargées de surveiller la situation chez eux, de procéder à l’arrestation de toute personne qui manifesterait la moindre sympathie pour les Kadihines.

                                             (A suivre)

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