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un grain de sable pour secouer la poussière...

Passions d’enfance : Avant de tout oublier (18).Par Ahmed Salem Ould El Mokhtar (Cheddad)

Mercredi 29 Mars 2023 - 23:38

La culture : le grand père Elbou, un discret érudit

 

La participation dynamique des femmes à l’activité économique va donner une grande disponibilité de temps aux hommes de la collectivité. Ce temps va leur permettre d’explorer d’autres horizons. C’est ainsi que bon nombre d’entre eux s’adonnèrent à l’étude et à l’apprentissage du Coran. Le grand-père Elbou Ould Ahmed Salem, connu familièrement sous le nom de Bou, en était la meilleure illustration. Sa bibliothèque, relativement modeste, comptait des dizaines d`ouvrages dont plusieurs manuscrits, y compris, je me rappelle bien, un Coran complet écrit à la main.
 

Le désarroi de la sécheresse aidant, beaucoup de ses ouvrages ont disparu après son décès en 1973 à l’âge de 93 ans. Il était le plus jeune de ses frères, Bou est né exactement en 1880 de l’ère chrétienne. La date correspondant dans le calendrier musulman, était codifiée avec lui. Il maîtrisait, non seulement la récitation du Coran, mais il possédait, en plus, une connaissance approfondie des sciences religieuses et de la littérature arabe. Il était connu dans la zone pour sa grande connaissance de la grammaire et de la poésie arabes, notamment la poésie abbasside et la poésie antéislamique. Il appréciait particulièrement la poésie d’Amrou Elghaiss,  diminutif « ghaisse », le plus célèbre poète arabe de la période antéislamique. « Waghadeghtediwatairou vi woukanatiha…minkerrinminverrin… », un passage d’un poème de Ghaisse, que Bou se plaisait souvent à me répéter et qui résonne toujours dans mes oreilles. Il le choisissait plus fréquemment pour me demander de l’analyser grammaticalement. Ce qui n’était pas facile pour moi avant d’approfondir la grammaire arabe à l’école moderne.

 

Une certaine résistance culturelle
 

Bou était aussi le dernier des nôtres à parler couramment la langue berbère ou le parler « Aznaga ». Je l’accompagnais souvent dans la garde du troupeau de moutons. On croisait des hommes appartenant à des fractions Idab Lahssane, parlant couramment le parler «Aznaga ». Il se mettait aussitôt à leur parler berbère. Leurs jeunes s’exprimaient aisément dans ce langage. Il me faisait remarquer, que leurs parents les sanctionnent quand ils s’adressaient à eux en Hassania ! N’était-ce pas là une forme de lutte originale en vue de préserver une tradition culturelle contre l’hégémonie d’une autre langue, qui bien, que langue du Saint-Coran auquel ils sont très attachés, demeure encore plus ou moins étrangère à leur milieu ?!
 

Au plan religieux, notre collectivité jouissait d’une grande indépendance. On peut interpréter leurs efforts pour la conquête des connaissances et du savoir traditionnel, comme étant une autre forme de lutte pour la conquête de leur liberté. En jouant sur ce plan, d’égal à égal avec les autres, ils leur imposent leur respect. C’est ainsi que nos parents n’eurent jamais besoin des services d’un marabout pour l’accomplissement des rituels religieux habituels. Ils savaient prier pour leurs morts et guidaient eux-mêmes leurs prières quotidiennes.
 

Au temps de la vie nomade, plusieurs hommes, connus pour leur grande érudition, se relayaient dans la direction de la prière et des rites religieux, ainsi que dans les prières lors des grandes fêtes religieuses. Ils savaient même répartir correctement l’héritage, tâche réputée des plus difficiles techniques des fractions. Parmi eux, bien après le décès de Bou, le premier Imam de la collectivité après sa sédentarisation, est le vieux Bamba Ould Gueidiatt. Bou est son cousin maternel. Son Père, Gueidiatt Ould Nnah, descendant à la fois de Cheiffa et de Boushab, était célèbre lui aussi pour son savoir et sa connaissance du Coran. Après son décès il fut remplacé, selon les circonstances, par plusieurs autres dont le père Elmoctar, Khatri Ould Zaid, Ahmed Ould Vouddi et autres. Ahmed Ould Vouddi est le frère germain de Hmeimid (Vouddi étant un surnom).

 

La direction de la prière
 

Plus tard, la direction de la prière va se stabiliser avec un neveu (à la fois paternel et maternel), Mohamed Ould Isselmou dit Ould Bah. Ce dernier, instituteur de son état, s’est démené pour construire une mosquée en dur. Il était à la fois le petit fils de Bou et de Bamba. Il se sacrifie pour assurer le fonctionnement quotidien de sa mosquée.

On raconte qu’une fois, au cours de la prière de la fête d’Eladdha, dans le courant du milieu des années 70, après avoir dirigé la prière, le père Elmoctar tomba évanoui d’émotion au moment où il récitait devant l’assistance des prieurs, la célèbre Sourate « Ghaaf Walghouraani Elmejid ». Cette sourate, aux versets ponctués de la lettre « d » en arabe qui résonne comme un glas, à la tonalité à la fois sonore et des fois alarmiste, qui décrit les conditions infernales et éprouvantes du jour dernier, est connue pour sa forte teneur émotionnelle et sa sensibilité qui va droit au cœur.

 

 L’école de  « Dhamet », le jeu d’échec traditionnel

 

 Une autre tradition des hommes de la collectivité est un jeu d’intelligence, appelé « Dhamett » ou damier maure. En réalité, c’est plus compliqué et par conséquent fait appel à plus d’intelligence que le damier. Le damier s’apparente plutôt au jeu de « Khraigba ». Le jeu de Khraigba, aux règles très simples, sert en général d’entrainement au Dhamett, souvent à l’âge jeune. Dhamett ou « Srand », son deuxième nom. « Srand » sonne pourtant comme « Echattranj », son nom en arabe pourrait être rapproché plutôt au jeu d’échecs. Comme le jeu d’échecs, il est en effet complexe et exige le même niveau d’intelligence et de concentration.
 

Notre collectivité Laabid abritait l’un des plus célèbres centres du jeu de Dhamett du Trarza, région célèbre à cause de ses talentueux joueurs. Ses grands joueurs comptent de nombreux ressortissants de chez nous, notamment le célèbre Karim Ould Maatamoulana. Ce dernier avait, parait-il, malgré une faible vision, battu dans un duel de Dhamett le très respecté et redouté émir du Trarza, un héros de la résistance, Ahmed Ould Deid. Ould Deid, son nom courant, était réputé comme étant un joueur de grand talent. Après avoir perdu le duel qui les a opposés, Ould Deid, a tiré à Karim son chapeau ou plus exactement son turban d’émir. Karim est le père du jeune homme d’affaires Vadel et de Mouhamdi, le muezzin de la mosquée. Ce dernier est un grand amateur du jeu sans se hisser pour autant au niveau de son père.

 

Le vainqueur d’Ould Abdi Vall
 

Rappelons que feu l’érudit Mohemd Elmokhtar Ould Bah décédé récemment presque centenaire, encore tout jeune fonctionnaire, a réussi à battre le célèbre champion d’Atar Ould Abdi Vall. Feu Mohemd Elmoctar avait appris le jeu de Dhamet dans son groupe d’âge Lemhar dans notre collectivité de Hayet Laabid.

 

Le commerce au Sénégal

 

Concernant nos parents, il n’est pas facile de situer exactement les débuts de leur activité commerciale au Sénégal. On se rappelle que nos grands propriétaires de bétail, ceux que nous avons connus, notamment les grands  propriétaires de troupeaux importants  de bovins, mais aussi d’ovins et caprins, avaient l’habitude d’élever et de vendre annuellement des dizaines de têtes de bétail au Sénégal. Ils appelaient cette opération « Jjelb ». Les deux guerres mondiales, surtout la deuxième, vont favoriser ce genre de commerce. L’approvisionnement en viande du front de guerre en Europe va nécessiter la création d’un florissant commerce du bétail. Les marchands de bétail ou dioulas (Dioulat en hassania) balayaient toute la zone à la recherche de bêtes de boucherie, des bovins notamment.
 

Les animaux étaient embarqués en Europe à partir du port de Bathurst (l’actuel Banjul) en Gambie. Ce qui explique la prospérité du commerce de bétail dans la région de Kaolack (Sénégal), située sur la route de la Gambie. Je crois que l’activité commerçante de nos parents au Sénégal a débuté par cette ville. Depuis, plusieurs d’entre eux s’y sont spécialisés. Certains des premiers groupes d’âge n’ont connu en matière de commerce que Kaolack. On les appelait « Dioulatt » ou Ehel Kaolack (les gens de Kaolack). Citons parmi eux: Hmeini Ould Jidhoum, Bouna, son ami, le grand-père Gueidiatt, Ahmedou Ould Elkori, Cheineet son frère Seyloum, Mohamed Ould Bakar, ainsi que Hmeimid et son berger de bovins, le très sympathique, le second père et le compagnon intime de son fils ainé, Bougoufa Ould Ahmeimid, je veux dire Eliid Ould Cheibani, ainsi que Mohamed Ould Maatamoulana et son intime compagnon le sage  Mahmoud Mbarek et autres.

 

Quand Hemmeini se mesure à Cheikh Ould Elghouth

 

 A Kaolack, le regroupement de nos marchands de bétail, bien après les grandes guerres, fera beaucoup parler de lui. Ses membres connus sous le nom tribal des Ewalad Deymane serviront de relais obligé pour les marchands de bétail originaires de l’est de la Mauritanie. Ces derniers leur livraient l’intégralité de leurs troupeaux pour se faire payer après la récolte des arachides. Les nôtres vendent aux sénégalais, les paysans notamment. Une fois, suite à une mauvaise campagne agricole, les Ewlad Deymane rencontrèrent de sérieuses difficultés à payer les marchands de l’est. Comme ceux-ci commencèrent à s’impatienter du moment que nos parents n’avaient aucun moyen de remboursement. Le grand Hemmeini Ould Jidhoum va les tirer d’affaire. Il usa d’une simple astuce. Il acheta un très joli cheval qu’il offrira comme cadeau au chef du regroupement des tribus de l’est, un certain Cheikh Ould Elghoth. Très impressionné par le geste de Hemmeini, celui-ci décida de réagir par un geste du niveau de celui de Hemmeini. Il convoqua une assemblée générale des marchands de l’est. Il les informa du geste combien grandiose de Hemmeini. Comme réaction il leur demanda de surseoir  cette année à leurs dettes à l’égard des Ewlad Deymane. Ce qu’ils acceptèrent sur le champ.
 

Comme Kaolack, Thiès, à 70 km de Dakar, servira de plaque tournante et de point de regroupement de nos parents au Sénégal. Plus d’une dizaine de boutiques spécialisées dans le commerce de détail, vont y voir le jour. Citons à titre d’exemples, parmi les toutes premières boutiques, la boutique des parents paternels, Elmoctar et Ahmada, à Rondleine avant son transfert plus tard au marché central de Thiès. Il servira de financier pour les autres. Pour de nombreux jeunes de chez nous, pendant longtemps, cette boutique a servi d’atelier d’entrainement et de formation au commerce de détail. Au fur et à mesure d’autres boutiques vont voir le jour. Citons-en  celle de Mmeylid à Rondleine, Khatri, Venne, Abdellahi Ould Salem, Mohemmedhen Ssalem Ould Maouloud et Abeidou à Takhikao, IsselmouOuldSsaibar à Kirikao, Nnah Ould Cheibou à Grand Thiès, Soueidi, Abdou et Cheikh, Elhassane Ould Baba dans d’autres quartiers de cette ville du Cayor. Les Wolof  collent à nos parents le nom  de famille ou « Sint  en wolof »: Dieng. Nom porté par tous les ressortissants Oulad Deymane au Sénégal. D’autres tribus portent le nom de « Fall », « Diakité », « Sy »….

 (A suivre)

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