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un grain de sable pour secouer la poussière...

Passions d’un engagement (10); La tactique de juillet 1973 ou tentative de fuite en avant (3).Par Ahmed salem Ould El Mokhtar (Cheddad)

Jeudi 14 Mars 2024 - 16:07

Les trois montées de Ely Ould Boubout
Les autorités avaient souvent les yeux braqués sur les personnalités, cadres administratifs, sympathisants du mouvement, comme les professeurs et les ingénieurs. Considérant leur niveau académique, elles jugeaient qu’elles étaient les plus aptes à diriger le mouvement. Alors que pour la plupart, ces cadres supérieurs étaient à peine de simples sympathisants. Selon un numéro du mensuel interne au parti Le Militant, une fois, sur plusieurs centaines de détenus à Beyla, on comptait à peine 5 membres du parti PKM. Ely Ould Boubout, l’une de ses personnalités, un professeur de Maths, connu pour son franc-parler et son sens élevé de l’humour, répondant une fois à un parent qui lui avait demandé s’il était vrai qu’il était devenu communiste: « Echkem ! », répondit-il. « Echkem », une exclamation exprimant un certain étonnement, mêlé d’ironie. « Je me tracasse pour devenir un simple sympathisant démocrate sans y parvenir », rétorqua Ould Bouboutt. Il dit une autre fois, qu’il était surpris par trois montées: la montée des prix en premier lieu. Il fit remarquer que les prix des denrées de première nécessité doublent ou parfois triplent en si peu de temps. La deuxième montée, selon lui, est celle de la répression.
Il indique qu’il arrive qu’il quitte une famille tard dans la nuit. Quand il revient le lendemain, très tôt le matin, il trouve la maison saccagée et ses habitants raflés en pleine nuit et incarcérés quelque part, souvent dans un lieu tenu secret. La troisième et dernière montée de Ould Boubout, fut celle de la prise de conscience parmi la jeunesse. Il avait constaté qu’il lui arrivait de recevoir chez lui un jeune adolescent venant du fond des régions rurales. Brusquement ce dernier disparut. Il le cherchait partout et n’arrivait pas à le retrouver. Il se résigne, croyant qu’il ne le verrait jamais. Un beau jour, le voilà qui réapparait. Il lui demanda où il était tout ce temps-là. « Faisant fi de ma question », indique Ould Boubout. « Il me regarda droit dans les yeux pour me rétorquer: je suis revenu pour vous éveiller ! », Conclua-t-il.

 

La grande rafle d’Akjoujt
Akjoujt n’était pas épargné par la grande campagne de répression. Une fois on me rafla avec toute une famille, encore en pleine nuit, comme dans le récit de Ould Boubout. Il s’agit d’une pauvre famille de sympathisants, de souche haratine, les Beyouh. On avait loué une chambre dans leur maison à trois pièces rangées sur la même ligne. Il arrive que je passe la nuit dans cette chambre, avec une grosse malle pleine de documents hautement compromettants. Ce n’était pas recommandé de passer la nuit dans de telles conditions. Je n’arrivais pas à me débarrasser d’une autre mauvaise habitude. Comme il faisait très chaud à Akjoujt, je dormais souvent en boubou nu, sans chemise et sans pantalon. C’était en été. Les gens dormaient dehors.
 

Un duel avec le marathonien Mbodj
Moi, ce soir-là je dormais à l’intérieur. Étant sorti pour un besoin, au retour j’aperçus le casque d’un policier qui avançait dans ma direction. Je le reconnus. Il s’agissait d’un certain Mbodj, un policier, originaire de Rosso, très élancé et célèbre pour avoir remporté le marathon de Nouakchott lors du symposium de 1974. Je somnolais. Mesurant rapidement l’ampleur du danger, cherchant à détourner l’attention du policier de ma chambre, je fis quelques pas en direction de la chambre du milieu, celle habitée par la famille, étant convaincu qu’il n’y avait rien de compromettant. Le policier s’interposa entre la chambre et moi. Je fis un pas en arrière avant de déguerpir. Mbodj, le marathonien, se mit à courir à ma suite. Je n’étais pas marathonien, mais je me rappelle que j’étais le mieux noté aux cents mètres aux épreuves sportives à l’examen du BEPC en 1971. Mbodj m’attrapa peu de temps après, après m’avoir coincé dans un angle formé par deux murs de banco. Si seulement j’avais eu le temps de me mesurer à un coureur de fonds de la classe de Mbodj !
 

La grande fiesta de la police
Il me conduisit aussitôt au commissariat de police. Ma grande surprise, ma grande déception surtout, fut de trouver devant moi mon camarade et ami Salek Ould Elhaj Elmoctar. On formait ensemble la cellule du parti dont j’étais le président. Salek est aussi un renvoyé du Lycée National. La police le ramassa au début de la nuit lorsqu’il s’apprêtait à rentrer dans la maison où je passai la nuit, des numéros de Jeunesse Ouvrière « J.O », notre journal local, écrit à la main en sa possession. Je suis doublement recherché, à la fois comme condamné et responsable du MND. Au commissariat, je retrouvais aussi Beyouh et sa femme, ainsi que feu Ahmed Ould Sidi, un jeune cadre du mouvement, faisant partie des marabouts de ces derniers. Je décidai de continuer à jouer l’innocent tant qu’il n’y avait pas de preuves palpables contre moi.
Arrivé au commissariat, j’avertis discrètement les amis présents d’éviter de me manifester la moindre connaissance. Ce qu’ils firent. Devant les policiers, j’apparaissais comme totalement étranger. Quand nous fûmes seuls je m’ouvris à eux: je les encourageais et je leur donne des conseils et recommandations à tenir. Jusqu’à preuve du contraire chacun devait défendre son innocence. En cas de découverte de preuves indéniables, il fallait se mettre à l’offensive et défendre avec courage ses convictions politiques. Ce que j’envisage exactement de faire. Comme d’habitude je programmais de m’évader. Je scrutais le lieu. Une vieille bâtisse au milieu d’un vieux camp militaire colonial.
 

L’astuce payante
Apparemment aucune issue possible. Il fallait envisager les choses autrement. Mon camarade Salek ne cesse de moraliser le groupe. Comme il était étranger à la ville et ancien élève renvoyé pour fait de grève, il a peu de chance d’échapper.
Le commissaire de police, un Bà Siley de Kaédi, est un proche parent à mon intime ami, feu Bâ Abdoullahi dit Batch, enseignant en ce moment à Akjoujt et habitant chez lui. Les deux faisaient partie de la famille de l’inspecteur de l’enseignement feu Bâ Mamadou Nnalla, le père de Koumba Bâ, future ministre. Quand il fut jour, il me convoqua dans son bureau,
Il se mit à me poser des questions. Considérant que ma réponse tardait un peu à venir, il piqua une grosse colère, puis ordonna à un agent de police de me molester et de me déshabiller avant de me ramener de force au groupe de détenus. Ce qu’il exécuta sur le champ. Les amis se hâtèrent de me donner de quoi cacher les parties intimes de mon corps tout nu. Nos camarades restant à l’extérieur nous informèrent que le jeune Taleb Khyar avait vidé très tôt le matin ma chambre. Seule la chambre des voisins avait été fouillée par les policiers. Ils n’y retrouvèrent rien.
 

La délivrance
Dans la journée, on libéra tout le monde sauf Salek et moi. Pour Salek, la décision était déjà arrêtée: il sera envoyé à la prison de Beyla à Nouakchott. Trois places dans un taxi, pour lui et deux policiers, ont déjà été réservées à cet effet. À midi, le commissaire me convoqua de nouveau. Il m’intima de répondre correctement et rapidement à ses questions. Je me pressai de lui apporter une réponse convaincante à la question qui semblait être la plus pertinente: les raisons de ma fuite devant Mbodj. Je lui expliquais que je suis cardiaque et que quand on me réveille subitement je pouvais réagir de diverses manières, la plus fréquente et la plus pacifique est de se mettre à courir sans objectif déterminé. Il baissa le ton.
Il tient à se débarrasser de moi avant que je n’exhibe une autre forme de manifestations de mes crises cardiaques, surtout les plus violentes. Puis, il me montra des bouts de papier chiffonnés sur lesquels étaient griffonnées quelques notes, ramassées dans la cour des Beyouh. Il me demanda, toujours en Hassania bien articulé, si ce n’était pas mon écriture. Je lui répondis non, « puisque je ne savais pas écrire », ajoutai-je. Pourtant c’était bien la vilaine écriture de ma main gauche. Il arrêta net son interrogatoire. Puis il s’adressa à moi, cette fois en grand frère: « Tu va reprendre tes habits et rentrer chez toi, mais avant ça je te conseille de faire attention à des petits voyous ici qui ne cessent d’intoxiquer les enfants des autres », indiqua-t-il. Je lui répondis que « comme les choses sont comme ça j’ai décidé d’arrêter la recherche de travail, et j’ajoutai: « je vais d’ailleurs rentrer chez moi ». Je ne compte nullement partir, mais je tenais à m’éclipser pour quelque temps, des yeux de la police. Akjoujt est la terre des éclipses. Il me conseilla de ne pas partir, mais seulement de faire attention à la mauvaise propagande des jeunes voyous.
Mes habits se limitaient en réalité à un seul boubou de Tergal. Ce tissu, bon marché, était porté aisément par tous en ce moment. Je dis au revoir à mon camarade Salek. Il devrait quitter à 15 heures en direction de Nouakchott pour être incarcéré à la prison de Beyla pour une durée indéterminée. Il était tout sourire: je ne l’avais jamais vu aussi joyeux. Je rentrai chez les Heyine sous un soleil de plomb.
 

Un vagabond chez Zeineb Heyine
Comme un fou, sans chaussures, mes pieds nus cuits par le brûlant terrain rocailleux, je partis chez les Heyine. Zeineb se hâta de me faire sortir le pantalon et les chaussures de son fils Jemal. Et la caravane continua sa marche.
 

Le vide laissé par Salek et Elboukhary
Salek, bien qu’il vive en clandestin, son départ nous posait de sérieux problèmes dont principalement des problèmes d’encadrement de nos structures. J’aurai à assumer seul cette tâche. J’aurais aussi à assurer seul la rédaction de notre publication locale, Jeunesse Ouvrière « J.O. ». Ce genre de publications fut recommandé par la direction. Il consiste en une série de nouvelles et d’articles écrits à la main sur papier journal sous forme d’un périodique, généralement un hebdomadaire ou un mensuel. La mise en forme finale est confiée au très jeune Elboukhari Ould Elmouemel alias Deyloul tenant compte de la forme de sa belle écriture, malgré son bas niveau scolaire (CM2). Il en existait dans presque toutes les grandes villes. Des militants du mouvement ont initié des publications pareilles dans de nombreuses zones rurales.
L’arrestation et le transfert d’Elboukhary à la prison de Beyla eut lieu juste après. Elle nous crée notre plus grand problème.

(À suivre)

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