Début juillet à Paris, Abdoulaye Diagana de Kassataya a rapporté la crise de nerfs d’un certain Souleymane S. qui mit à sac un bureau de l’ambassade après un mois à venir en vain espérant obtenir ses papiers. Les gens de la diaspora doivent savoir qu’à Nouakchott, ce n’est guère mieux. Les seuls rouages qui fonctionnent à merveille, ce sont les services qui s’occupent de la fabrication et la livraison des passeports et cartes d’identité : sitôt votre demande acceptée en 4 jours à Nouakchott et une semaine à l’étranger, vous obtenez vos documents. J’ai plusieurs fois eu affaire à ces services à Nouakchott et à l’étranger, je témoigne en toute connaissance de cause.
Par contre si par malheur, vous devez renouveler un document et que l’on vous annonce que votre nom ne correspond pas à la lettre près de votre père, car chez nous contrairement à la culture berbère dont nous sommes majoritairement empreints, la mère ne compte pour rien sauf chez les soninkés, alors vous entrez dans l’aventure administrative au vrai sens du terme surtout en plein ramadan ou au début de la guetna.
Il ne faut jamais mettre les pieds dans l’administration si vous ne connaissez personne car il faut une recommandation, un lien de parenté quelconque, n’importe quoi pour éveiller la motivation d’un fonctionnaire souvent mal payé et travaillant dans des conditions matérielles précaires et psychologiques difficiles surtout dans ces antennes qui s’occupent de l’enrôlement et autres titres sécurisés.
Là-bas, les nerfs des agents sont soumis à rudes épreuves car c’est là que toutes les tensions sociales, raciales nourries à l’extérieur viennent s’exprimer. Là-bas c’est comme la rue, on y croise ceux qu’on ne verrait jamais autrement de si près et pendant si longtemps car c’est le vrai règne de la mixité sociale. Vous remarquerez que tout bon mauritanien ne marche pas dans les rues, le mauritanien ne marche que s’il n’a pas de voiture et qu’il ne peut pas prendre un taxi même tout-droit à cent ouguiyas, le mauritanien ne marche que s’il est le plus pauvre parmi les pauvres ou s’il doit faire de l’exercice... Là encore le mauritanien ne marche pas n’importe où pour une question de sécurité et de tranquillité. De là que les nouakchottois s’entassent à tourner en rond au stade alors que le bord de mer est à 15 min sinon le mauritanien marche dans des axes des beaux quartiers.
La rue, c’est fait pour le petit peuple, les pauvres. Ainsi dans les agences des titres sécurisés, si vous arrivez, comme moi, sans connaître personne et trop faible en hassanya pour distiller avec humour des flèches subliminales afin d'être reconnu d'un trait comme un « gharib » alors, malgré un minimum d’organisation car la queue existe, vous risquez d’y passer un temps infini.
Ainsi, il m’a fallu un mois pour obtenir mon passeport après avoir corrigé un problème de « y » en arabe dans le nom familial, puis un autre mois pour obtenir ma carte d’identité car il a fallu "brûler" la première comme on dit en hassania dans le jargon administratif.
Le problème c’est que lorsque vous entrez dans l’aventure administrative pour régler les erreurs, on vous retire tous vos documents. J’ai donc passé un mois sans passeport et sans carte d’identité avec juste une feuille insignifiante en souvenir d'une demande de renouvellement. C’est alors que j’ai réalisé que l’administration, le pouvoir peut en un clic vous retirer tout document prouvant que vous êtes mauritanien. Un seul clic et vous disparaissez...
Vous pourrez ensuite assiéger les agences des titres sécurisés mais les malheureux agents ne pourront rien car c’est un fantôme derrière leur écran qui décide ce qui est accordé et ce qui est rejeté.
Pour ma part, pendant deux mois, je n’ai pas dit un mot, je faisais la queue dès 8H30 avant de connaître tous les gardiens et le personnel à force de me voir alors on me laissait entrer sinon vous restez dehors car il y a un quota sans lequel on étouffe dans l'agence.
Au début c’était la pagaille, les agents s’enfermaient à double tour et derrière la porte tout le monde tapait, puis les choses se sont organisées. Maintenant le matin on donne des numéros et les gens respectent la queue tant bien que mal.
Dieu merci, l’aventure se termine.