Le Calame : Que pensez-vous de l'accord entre les partis politiques et le ministère de l'Intérieur sur les prochaines élections ? Pensez-vous que celles-ci seront inclusives et transparentes ?
Mme Coumba Dada Kane : Je voudrais d’abord remercier l’ensemble des membres de l’équipe de rédaction du Calame de m’avoir donné l’occasion de m’exprimer sur des questions d’importance nationale. À vous particulièrement, j’exprime toute ma reconnaissance. Pour revenir à votre question, je dirai que j’ai lu le texte de l’accord signé entre les parties qui ont pris part aux négociations qui ont abouti à celui-ci.
À mon humble avis, je pense que le régime qui dirige le pays a beaucoup évolué dans la mise en œuvre de sa « technique de la feinte ». Pour rappel, au lendemain de son investiture, le président Ghazwani avait reçu nombre de leaders de l’opposition et selon les déclarations et notes d’informations publiées en suivant par les uns et les autres, le chef de l’État aurait exprimé sa ferme volonté d’organiser une rencontre nationale inclusive où toutes les questions d’importance nationale seraient débattues pour y apporter des réponses résolvant définitivement tous les problèmes qui entravent la cohésion sociale et l’édification d’une unité nationale bien réelle et non chimérique dans notre pays.
Mais au-delà de cette promesse, nous avons plutôt vu un président et nombre de responsables nationaux balbutier sur la question, cherchant à convaincre les Mauritaniens que le pays n’était pas en crise et qu’à la place d’un dialogue inclusif, une simple concertation nationale suffirait. Le rapport de force n’étant pas en faveur de l’opposition, celle-ci a fini par consentir à l’offre minimale du pouvoir : la concertation. Finalement et au regret des groupes politiques qui avaient décidé d’y participer, le régime fait une nouvelle fois un grand bond en arrière pour en finir définitivement avec le projet de débat national. Fini ! On n’avait hélas pas compté avec la fameuse « technique de la feinte » que Ghazwani et compagnie ont appris à si bien manier.
Tel que nous l’avons constaté, le projet de dialogue national tant chanté par Ghazwani aux leaders de l’opposition qu’il avait rencontrés est réduit à une simple série de réunions entre le ministre de l’Intérieur et les responsables des partis. Oui, un accord a été signé. Mais qu’en penser ? Je dois juste rappeler que notre Constitution, texte essentiel de notre arsenal légal, est foulée du pied tous les jours qu’Allah fait par ceux-là même qui devraient en être les premiers défenseurs. Depuis l’avènement de ce régime, le droit de manifester est proscrit, les partis politiques et les organisations de la Société civile légalement constitués sont systématiquement interdits de manifestations pacifiques publiques ; et même en leurs sièges, ils se voient souvent signifier par un commissaire de police de quartier que telle ou telle rencontre est interdite.
Ceux qui violent quotidiennement la Constitution n’auront aucune peine à ne pas respecter le contenu d’un petit papier signé avec des responsables de partis politiques envers lesquels je voudrais ici exprimer tout mon respect et ma considération mais que j’appellerai à plus de vigilance. Quant à la question du caractère inclusif et transparent des futures élections, tout ce que je viens d’exprimer devrait vous permettre de considérer mon scepticisme.
-Le président de la République tente de trouver une solution au passif humanitaire avec les représentants des victimes. Que pensez-vous de cette initiative ? À votre avis, le processus est-il bien engagé ?
-Il s’agit ici d’une importante question nationale et même historique. Je ne suis pas au secret des coulisses du processus. Mais, à mon avis et de ce que j’ai entendu et lu par-ci, par-là, la démarche ressemble plutôt à une tentative de manipulations des ayants droit, victimes et responsables d’organisations de soutien. Éponger des crimes atroces à tout prix, sans aucune réelle volonté de règlement juste et définitif… Pour soigner un mal, ne faudrait-il pas aller à sa racine ? Il y a bientôt deux ans de cela, nous avions lancé une pétition et proposé l’abrogation de la loi 093 d’amnistie des présumés responsables des crimes dont il est ici question. Nous avions écrit au président de l’Assemblée nationale ainsi qu’à tous les présidents des commissions parlementaires. Aucune réaction. Le moment venu, nous en ferons le bilan et parlerons de la contribution de chacun.
- Après votre exclusion ou démission du Mouvement IRA voici quelque temps, vous avez fondé le SPD. Ce mouvement est-il reconnu par le ministère de l'Intérieur ? Si oui, va-t-il présenter des candidats aux prochaines élections locales ?
- Le mouvement IRA est désormais derrière moi, sans regret. J’y ai milité, donné le meilleur de moi et éprouve le sentiment fort que ceux avec lesquels j’ai milité mais aussi ceux qui sympathisaient avec le mouvement ont un bon souvenir de mon passage militant à IRA.
D’anciens responsables d’IRA se sont joints à d’autres activistes connus venus d’ailleurs pour travailler ensemble pendant plusieurs mois à mettre en place un important projet de société – le Sursaut Populaire Démocratique (SPD). Pour mémoire, le jour du lancement du SPD – le 16 Février 2021 –, j’étais à Dakar pour des raisons médicales mais j’ai publié une déclaration de soutien au groupe à l’origine du projet et appelé les Mauritaniens de tout bord, épris de progrès et de principes démocratiques à en faire autant.
Si je ne suis pas encore organiquement membre du SPD, le projet a tout mon soutien et je suis en contact quotidien avec ses responsables. Je suis au courant que mes amis ont l’intention de déposer auprès du ministère de l’Intérieur un dossier en vue de la reconnaissance du SPD en parti politique. Mais en ce qui concerne les perspectives électorales du groupe, je laisse l’exclusivité à la direction du SPD d’en parler.
- Si l’on vous demandait de comparer le régime de Ghazwani à celui de son prédécesseur Ould Abdel Aziz, que diriez-vous ?
- Comparer Mohamed Ould Abdel Aziz et Mohamed Ould Cheikh Ghazwani ? Un exercice facile ! Ensemble, ils ont interrompu le pouvoir de Maawiya ould Sid’Ahmed Taya par un coup de force ; ensemble, ils ont récidivé en renversant par un coup d’État yarhamou feu Sidi ould Cheikh Abdallahi – le premier président démocratiquement élu de l’histoire de la Mauritanie – et ont gouverné, ensemble, jusqu’au départ du premier. Que s’est-il réellement passé entre eux pour que le second fasse poursuivre le premier pour vols aggravés et massifs avant de le faire mettre sous contrôle judiciaire puis en détention préventive et de le faire libérer à l’issue du délai légal de cette détention ? Les Mauritaniens sont nombreux à s’interroger sur la suite du dossier. Y aurait-il eu arrangement entre le premier et le second ? Si oui, lequel ? Sur ce, je laisse les lecteurs juger de la ressemblance entre ces deux « anciens amis de 40 ans ». Et je vous remercie une fois de plus pour l’audience que vous m’avez offerte.
Propos recueillis par Dalay Lam
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