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Sénégal/Mauritanie : « Le partage du gaz, une sagesse extraordinaire des deux présidents »

Vendredi 13 Juillet 2018 - 08:45

Sur un polo de grande marque de couleur rouge, Mohamed Abdel Vetah a enfilé un deraâ (habit traditionnel mauritanien) blanc immaculé. A l'entrée de son grand bureau situé au troisième étage de son département, le ministre du Pétrole, de l'Energie et des Mines n'a eu besoin de ses lunettes de geek pour recevoir La Tribune Afrique en entretien. Pourtant, même s'il a été consultant pour Total et représenté Sterling Energy, ce docteur en Informatique a atterri en août 2016 dans un secteur qu'il ne maîtrisait pas totalement. Les défis de l'apprentissage ont été grands tout comme les challenges dans les secteurs du pétrole, de l'énergie et des mines sur lesquels la Mauritanie compte capitaliser pour atteindre l'émergence.
 

La Mauritanie va-t-elle devenir un émirat pétro-gazier et minier? La réponse à cette question cristallise tous les débats dans un pays qui possède déjà du pétrole et exploite du fer et de l'or. Sans compter ses réserves de phosphate et de quartz. Autant de perspectives qui attirent de plus en plus d'investisseurs et de grandes compagnies pétrolières ou gazières et les services qui y sont attachés. Le regain d'intérêt a redoublé depuis l'annonce en janvier 2016 de la découverte d'un gisement gazier à cheval sur la frontière entre la Mauritanie et le Sénégal.

Dénommé Grande Tortue Ahmeyim (GTA), ce gisement offshore à 5200 mètres de profondeur représenterait des réserves estimées à 450 milliards de mètres cubes que les deux pays vont exploiter conjointement et équitablement. Selon des estimations obtenues par La Tribune Afrique, en moyenne sur la durée de production (soit 30 ans), l'exploitation du gaz d'Ahmeyim devrait rapporter 1 milliard de dollars de revenus directs par an aux deux Etats. Cela pourrait faire doubler le budget de la Mauritanie, même si dans un premier temps, ces revenus devraient aller crescendo.
 

Gaz

Du côté des deux opinions, les réticences alimentent les débats depuis la signature en février 2018 de l'accord d'exploitation sur le modèle de l'«Accord Frigg» entre la Norvège et le Royaume-Uni. Ces doutes et les questions qui les accompagnent, nous les avons posées à Mohamed Abdel Vetah. A 41 ans, ce passionné d'informatique, presque autodidacte dans le domaine de l'énergie et des mines qui dirige ce département stratégique depuis bientôt deux ans. Depuis son entrée au gouvernement, il est, avec Amal Mint Maouloud, sa collègue de l'Urbanisme, l'un des benjamins du gouvernement. Ce qui ne l'empêche pas de pouvoir traiter des enjeux de son secteur d'expertise. Interview!

 

La Tribune Afrique : Il y a moins de dix ans, la Mauritanie a mis en place un nouveau Code des hydrocarbures. Est-ce que c'est son secret pour que les Majors et les investisseurs du secteur se bousculent à ses portes ?

Mohamed Abdel Vetah: L'actuel Code des hydrocarbures est en place depuis 2010. Ce n'est donc pas le Code des hydrocarbures lui-même qui était déjà attractif, bien ficelé et auquel on a rien changé. Objectivement, sans que ce code ne soit modifié, je crois qu'il y a un ensemble de paramètres qui ont changé depuis 2010. Le premier est l'environnement des affaires. Ce que cherche tout investisseur, c'est un environnement sécurisé, une confiance dans la justice du pays où il investit, dans la durabilité et la pérennité  de son investissement. Il faut rappeler qu'en trois ans, la Mauritanie a gagné 26 points sur l'Indice Doing Business de l'amélioration de l'environnement des Affaires

Bien entendu, il ne faut pas escamoter le facteur de découverte qu'il y a eu en 2015. J'ai toujours pensé que le meilleur moment pour faire la promotion du secteur était lors de la découverte. Enfin, il y a aussi la politique promotionnelle. Le plus souvent, je me déplace en personne là où se trouvent des possibilités d'échanger avec des futurs ou potentiels partenaires.

Ce qui a changé aussi, c'est que le pays a un environnement attractif, plus sécurisé pour les investisseurs. Ces acteurs s'attendent aussi à une proactivité c'est-à-dire une administration qui ne soit pas lente.

Il y a aussi un choix stratégique du pays qui a été de se dire que l'exploitation de telles ressources est un domaine qui requiert une certaine technicité, beaucoup d'investissements, donc de les confier à des grandes structures. Sans être exhaustif, il y a lieu d'insister sur le climat de sécurité qui assure la stabilité du pays dans une zone marquée par l'instabilité.

Dans le domaine gazier, c'est surtout cet immense champ à cheval entre la Mauritanie et le Sénégal qui retient l'attention. Quelle histoire se cache derrière ?

La Mauritanie a une longue histoire avec l'exploration et la découverte du pétrole qui a commencé depuis les années 1960. Récemment, en 2015, il y a eu une découverte de gaz dans notre pays.

La plus grande découverte de ces découvertes se trouve à la frontière entre la Mauritanie et le Sénégal avec un potentiel compris entre 10 et 15 TCF (trillion cubic feet). L'année où le champ a été découvert en 2015, il représentait probablement l'un des plus grands champs gaziers au monde. Il a donné lieu à un projet baptisé Grande Tortue Ahmeyim. C'est un projet de classe mondiale en termes de ressources qui est piloté par le Major British Petroleum (BP) qui en est l'opérateur à 65%.

La Mauritanie et le Sénégal ont convenu d'exploiter ce champ de manière conjointe. Au mois de février 2018, le Président Macky Sall et le Président Mohamed Ould Abdel Aziz se sont rencontrés à Nouakchott. Sous leur haut patronage les deux ministres du Pétrole ont signé l'accord de convention qui donne le feu vert à l'opérateur pour lancer les études.

Les deux Présidents ont donné la directive de trouver une façon équitable de partager cette ressource. Il a donc été convenu que cette ressource qui se trouve le long de la frontière soit partagée à égalité : 50% pour le Sénégal, 50% pour la Mauritanie. Mieux que ça, ils ont même décidé d'intégrer les coûts de recherche qui ont mené à cette découverte.

Tous les coûts de recherche, d'exploitation et de production sont aussi partagés entre les deux pays pendant une période de 5 ans. Cela donne le temps au projet de se mettre en place. Si au bout des cinq années, l'un des Etats trouve que le gisement est plus important d'un côté que de l'autre, et on aura le temps de le prouver en suivant la production, il est libre de demander un réajustement de ce partage.

Le projet avance de façon très satisfaisante. Les équipes se réunissent très  fréquemment depuis 2 ans. On envisage l'installation d'un détecteur à ionisation de flamme (FID) d'ici la fin de l'année 2018 et la première production de gaz est attendue fin 2021.

En cas de cas de litiges  ou demande de réévaluation entre le Sénégal et la Mauritanie, quelle  juridiction serait compétente pour les trancher ?

Cette compétence revient à la Cour internationale d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale (CCI) à Paris.

Dans une partie de l'opinion sénégalaise, on émet certaines réserves notamment dans le partage du gaz. Comment perçoit-on ces réticences-là du côté mauritanien ?

La Mauritanie a un historique avec ce type de débat. Ce qui se passe au Sénégal aujourd'hui, c'est ce qui s'est passé en Mauritanie en 2005. Beaucoup pensaient déjà que la Mauritanie allait déjà devenir un pays pétrolier à l'image de ceux du Golfe. D'autres s'interrogeaient sur la pertinence des futurs accords et leur équité alors qu'on en était au stade de la découverte seulement

J'ai écouté avec beaucoup d'intérêt les allusions sur la partie partage. Mon opinion est que les chefs d'Etat Mohamed Ould Abdelaziz et Macky Sall ont été d'une sagesse extraordinaire. Ce gaz est une ressource commune. Au lieu de se dire que c'est plus abondant d'un côté ou de l'autre, ils ont décidé de manière très sage: «Exploitons-là conjointement pendant une certaine période de manière égale». Cette position a dépassionné et décrispé beaucoup de réticences des deux côtés. L'opérateur a eu confiance et nous sommes en train de travailler et d'avancer ensemble dans ce projet.

En 2021, la Mauritanie et le Sénégal vont bénéficier du premier mètre cube de gaz. Est-ce qu'en amont, les autorités mauritaniennes ont déjà réfléchi à la finalité de ce gaz ? A quoi va-t-il servir ?

Il y a toujours un débat en Mauritanie sur comment utiliser les ressources pétrolières, gazières avec un ce fameux débat sur le Fond pour les générations futures. Les autorités mauritaniennes ont voulu être pragmatiques. Nous pensons qu'il faut utiliser les bénéfices pour créer d'abord un climat où l'investissement sera possible, mais aussi et surtout pour assurer le développement économique et social du pays. En même temps, améliorer les conditions de vie des citoyens y compris par la disponibilisation des infrastructures de santé, d'éducation et de transport.

Ce que nous pensons clairement, c'est qu'il faut les utiliser dans des infrastructures énergétiques, qui elles-mêmes vont permettre aux miniers de faire de la transformation locale donc de créer des emplois. Nous avons aussi des ressources halieutiques. Avec des infrastructures énergétiques, leur capacité de transformation sera plus grande. Nous avons aussi un potentiel d'agriculture extraordinaire. Ces infrastructures peuvent permettre de ramener l'eau et de l'électricité dans les zones agricoles. Ce sera une bonne utilisation des revenus gaziers.

Ces bénéfices permettront de construire des infrastructures routières, portuaires, aéroportuaires. Toutes ces infrastructures sont bâties pour les générations de demain. Notre philosophie est de dire : «Travaillons pour les générations à venir mais dans le cadre d'infrastructures qui vont leur être bénéfiques».

A l'horizon, peut-être quand les ressources seront plus abondantes, les infrastructures seront toutes réalisées. Nous pourrions alors envisager de faire comme la Norvège, en plaçant l'argent issu du gaz qui va rapporter plus en termes de transactions financières. Mais nous n'en sommes pas encore à ce stade-là.

Avec les promesses de l'exploitation du gaz, est-ce que la Mauritanie envisager de se brancher sur le futur gazoduc entre le Nigéria et le Maroc ? Comment votre pays compte accompagner ce projet ?

C'est une perspective d'évolution. Bien souvent lorsqu'on en parle, les opinions le perçoivent comme un projet qui apporte une concurrence au gaz mauritanien. Au contraire, la Mauritanie fait partie du comité de ce projet. Un conseiller technique de mon département assiste à toutes les réunions. Je pense qu'à l'avenir, si ce projet voit le jour, ce serait une opportunité supplémentaire pour le développement de beaucoup d'autres projets dans la zone.

Les infrastructures de gaz naturel liquéfié flottant (FLNG, acronyme en anglais) coûtent chères. Au nord de la Mauritanie, nous développons un autre projet gazier Tortue. Demain si le gazoduc voit le jour avec un point sur lequel la Mauritanie peut se brancher, cela donnera d'autres possibilités de production. J'y vois donc une opportunité de développement d'autres projets dans le domaine. Tout accès à une infrastructure nouvelle représente une nouvelle opportunité. Je crois que c'est un projet qu'il faut pousser à avancer.

 

La Mauritanie possède déjà du phosphate. Avec les ressources gazières, est-ce qu'il faut s'attendre à voir votre pays devenir un producteur d'engrais ?

Nous concevons le développement par phase. Faire des infrastructures lourdes pour la partie pétrochimie, engrais, c'est envisageable. Mais la question qui se pose est de savoir si elle sera compétitive.

Il y a des pays qui sont producteurs de gaz bien avant nous, qui ont des infrastructures plus grandes. Si demain, nous ouvrons une usine de production d'engrais, cela nous reviendrait plus cher. Et nous serions peut-être obligés d'acheter notre engrais chez eux.

Dans un premier temps, nous allons orienter nos ressources gazières vers la production d'énergie. Dans un deuxième temps, une fois que la quantité de gaz sera plus grande et que les infrastructures seront plus matures, à ce moment-là on pourrait envisager la partie pétrochimie ou engrais.

 
source afrique.le tribune.fr

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