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un grain de sable pour secouer la poussière...

Rencontre avec Jade Mietton, auteure d’un film sur Pierre Rabhi en Mauritanie

Jeudi 29 Octobre 2020 - 11:11

La réalisatrice iséroise Jade Mietton présentait au Grand Bivouac d’Albertville l’avant-première de son troisième film, « Les pieds dans le sable », consacré au projet agro-écologique porté par Pierre Rabhi à Maaden, en Mauritanie. Nous l’avons rencontrée durant le festival pour évoquer la situation dans les pays de l’arc saharo-sahélien.


Comment est née l’idée d’un film sur le projet Maaden ?

En 2018, Pierre Rabhi a été reçu au Grand Bivouac pour une conférence où il a évoqué le projet agro-écologique porté par le Fonds de dotation Pierre Rabhi et par Point-Afrique à Maaden. J’ai été sollicitée par le festival pour faire un film sur cette initiative. Je ne suis pas spécialiste d’agro-écologie, mais pour moi, c’était surtout une belle occasion de retourner en Mauritanie.

 

Comment aviez-vous découvert ce pays ? 

Depuis 2003, j’avais l’habitude d’aller en Algérie et au Niger ; je connaissais donc Point-Afrique et son directeur, Maurice Freund. Quand j’ai vu en 2017 qu’il relançait des vols sur la Mauritanie, j’ai absolument voulu être dans l’avion. Quand des gens font des choses bien, on doit les soutenir. Aller en Mauritanie était un acte militant. J’ai donc découvert la Mauritanie et j’y ai retrouvé le mode de vie saharien. Je me suis tout de suite sentie dans mon élément.

Quand des gens font des choses bien, on doit les soutenir. Aller en Mauritanie était un acte militant

Comment la population a-t-elle accueilli le projet ?

Lors de la première partie du tournage, en 2018, j’ai accompagné la délégation emmenée par Pierre Rabhi. Notre arrivée dans le village a été incroyable, Pierre a été accueilli comme une rock star ! Les gens espéraient vraiment des moyens et des échanges de connaissances dans le domaine agricole.

 

Maaden est connu comme un village soufi. En tant qu’étrangère, avez-vous pu découvrir cet aspect ?

Oui, les habitants m’invitaient à participer aux chants religieux. Après le repas, quelques hommes commençaient à chanter, puis petit à petit, tout le village se retrouvait dans la maison. On était cinquante ou soixante, serrés dans le noir, hommes et femmes, jeunes et vieux, et tout le monde participait. J’étais prise dans un tourbillon émotionnel incroyable. Cette dimension spirituelle m’a transcendée. J’ai donc choisi les chants soufis pour ouvrir et clôturer le film.
 

Les jeunes sont motivés et ont envie de créer de nouveaux projets autour du tourisme

Quel retour avez-vous eu de la part du public après la projection ?

Les gens sont contents, ça leur donne envie d’y aller ou d’y retourner. Certains ont appris grâce au film que la Mauritanie avait rouvert ! Cette relance du tourisme a créé un vent d’espoir. J’étais à Atar lors de la diffusion de l’émission « Échappées belles » sur la Mauritanie. Il y avait une effervescence, les gens étaient tellement fiers de l’émission ! Les jeunes sont motivés et ont envie de créer de nouveaux projets autour du tourisme. Et si les gens ont cette perspective d’activité économique, ils ne vont pas grossir les rangs des djihadistes.

 

La relance des vols Paris-Atar a créé un vent d’espoir en Mauritanie en 2017. Ça en est où aujourd’hui ?

Effectivement, avec la relance du tourisme, de nombreux jeunes ont acheté des voitures et ont créé leur petite entreprise. Trois ans après, l’enthousiasme n’est pas retombé. Les gens attendent toujours de pied ferme les touristes mais la pandémie de la Covid–19 a compliqué les choses : la saison de l’année dernière a été écourtée et celle de cette année est déjà impactée puisque les vols ne sont prévus qu’en décembre. Par ailleurs, les deux premières années, de nombreux voyageurs étaient des anciens qui étaient venus avant l’arrêt du tourisme et étaient contents d’y retourner. Ils y sont allés une fois et ne vont pas forcément y retourner chaque hiver. Donc la grosse difficulté maintenant, c’est de donner envie à une clientèle plus jeune de découvrir le pays.

C’est très facile de faire miroiter une vie meilleure à des gens désœuvrés
 
Après, tout le monde ne peut pas vivre du tourisme. Il ne faut pas oublier que c’est une activité saisonnière qui ne concerne que les mois d’hiver. Il y a ceux qui réussissent à mettre assez de côté pendant l’hiver pour vivre toute l’année, notamment les guides bien établis, mais les jeunes qui débutent sont obligés de faire des petits boulots pendant l’été : certains font des missions avec les militaires, d’autres récoltent du sel alimentaire, et il y a aussi l’orpaillage qui est très en vogue ces dernières années.
   
En 2018, vous aviez projeté votre deuxième film, justement consacré à l’orpaillage dans le nord du Niger. Comment a évolué la situation depuis ?
Il y a toujours une ruée vers l’or, mais c’est devenu plus organisé. Jusqu’en 2018, c’était accessible à tout le monde. Maintenant il faut creuser plus profond donc ceux qui ont le plus de moyens s’en tirent mieux. Ça occupe les gens car il n’y a plus rien : tous ceux qui vivaient du tourisme sont devenus orpailleurs. Pareil pour les passeurs qui travaillaient sur la frontière Niger/Libye, ils se sont reconvertis. Il y a aussi d’autres trafics : drogue, cigarettes, armes. Sinon, il y a le djihadisme. C’est très facile de faire miroiter une vie meilleure à des gens désœuvrés.
 
L’arrêt du tourisme a un impact sur la vie économique, mais aussi sur la vie culturelle ?
Oui, au nord Niger, l’artisanat disparaît peu à peu. Les gens entre eux ne s’achètent pas de l’artisanat, ils préfèrent des objets en plastique. C’est la mondialisation, comme partout. Les jeunes achètent des voitures plutôt que des dromadaires. Même les danses traditionnelles disparaissent. Danser devant les touristes peut paraître artificiel mais c’est une manière de perpétuer la tradition : les gens conservent les vêtements, les coiffes, les instruments.
 
Je ne suis pas une tête brûlée. Quand je vais quelque part, j’étudie bien la situation
 
Comment percevez-vous l’aspect sécuritaire, en tant que réalisatrice ?
Quand j’ai commencé à faire des films sur le Sahara, on m’a traitée d’inconsciente et de kamikaze. Ça m’a beaucoup affectée puis je me suis affranchie de ces remarques. Je ne suis pas une tête brûlée. Je ne mets pas les pieds au Mali ou en Libye. Quand je vais quelque part, j’étudie bien la situation, je me tiens au courant en permanence grâce à mes contacts sur place. Je ne me déplace qu’avec des gens qui connaissent bien le terrain et en qui j’ai confiance.

 

Quels sont vos projets futurs ?

Je vais lancer une série de formats courts sur le Sahara et le Sahel avec des épisodes sur des sujets divers : le soufisme, le henné, la galette dans le sable, l’éducation. Le but est de parler de la vie quotidienne des gens pour montrer autre chose. Je n’élude pas la question du terrorisme mais ça ne sera jamais le sujet de mes films !

 
D’où vient cette envie de toujours retourner là-bas ?

J’ai eu un coup de foudre pour le Sahara en 2003. Depuis, je suis mariée avec cette région. Si j’y retourne, c’est avant tout pour voir mes amis. Ils font maintenant partie de ma famille. Je suis française mais je me sens aussi appartenir à là-bas. Mes racines sont ici et mes ailes sont dans le Sahara. J’ai besoin des deux pour avancer.
 

 


Propos recueillis par Nora Schweitzer
 

 

 

Les pieds dans le sable en bref

Les pieds dans le sable, film documentaire réalisé par Jade Mietton sur le village agroécologique de Pierre Rabhi en Mauritanie. 

L’infatigable Pierre Rabhi s’échappe des salles de conférences pour œuvrer sur le terrain sablonneux de Mauritanie. Armé de toute une vie d’expériences, d’un groupe d’experts et de ses sandales de cuir, il lance un nouveau projet : transformer l’oasis de Maaden en un modèle d’agroécologie. Cette utopie saharienne, en étroite collaboration avec la population locale et l’aide de son complice Maurice Freund, germe peu à peu…
48 minutes - 2020.
Avec Djibril Niang, Pierre Rabhi, Jean-Joseph Boillot… Montage Camille Chaumereuil - Mixage Loïc Mabily - Etalonnage Ivan Mezcier.
Plus d’infos sur https://www.jademietton.com/pierrerabhienmauritanie

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