Le Calame : Le verdict du procès de la décennie est tombé ; l’ancien Président Aziz a été condamné à 15 ans de prison. Pour les avocats de la partie civile, le «droit a été dit » tandis que pour la défense, le jugement rendu ne repose sur «aucune preuve », il « est illégal ». Que comprend l’avocat que vous êtes dans cette querelle de confrères ? Pensez-vous que l’ancien Président a bénéficié de tous les droits auxquels il pouvait prétendre ?
Maître Mine Abdoullah : Merci pour votre question. Effectivement, le verdict dans « le procès de la décennie », comme vous dites, est tombé le 14 Mai 2025. Le premier constat qu’il est utile de faire, c’est d’abord la lourde condamnation par rapport à la peine infligée en première instance. Sur ce point donc, force est de constater que la Cour a eu la main lourde. En effet, si en première instance, l’ex-Président Aziz avait écopé de 5 ans de prison ferme, en appel cette peine a été triplée !!
Ceci dit, il est tout à fait normal qu’il y ait querelle entre confrères dans un procès où chacun fait feu de tout bois pour défendre son client. D’un côté, les avocats de l’Etat qui trouvent dans cette lourde sentence un motif de satisfaction et de l’autre, les avocats de la défense qui, bien entendu, ne peuvent que se sentir outrés. Pour ces derniers – et c’est généralement une habitude – le dossier « est vide » et ils peuvent tirer argument que leur client étant un ancien Président, il devait être jugé par la Haute Cour de Justice. Mais, il s’agit là des « effets de manches » de professionnels dont le mérite est qu’il s’apparente au débat sur le sexe des anges, tant il s’avère improbable de le trancher.
Quant à la question de savoir si l’ex-Président a bénéficié d’un procès équitable, nous pensons que oui, si l’on se place sur le strict angle du procès contradictoire, l’ex-Président ayant eu la possibilité de se défendre et d’être défendu par ses avocats.
Néanmoins, la teinte est moins claire quand on apprend que l’ex-Président, déclaré souffrant, a été quand même contraint parfois de comparaître.
Et, enfin, ce genre de procès – communément appelés « reddition des comptes – est toujours perçu, non pas comme un devoir de redevabilité de ceux qui ont eu à gérer les biens communs à l’égard du peuple, mais plutôt comme un règlement de comptes. En tout cas, c’est généralement l’impression que cela donne et les exemples sont nombreux : en Guinée, les compagnons de l’ancien Président Alpha Condé (Damaro Camara, l’ancien Président de l’Assemblée Nationale, Kassory Fofana, l’ancien Premier Ministre, etc.) mais aussi les ex-PM de feu Lansana Conté (Cellou Dalein Diallo et Sidiya Touré) sont, soit en prison, soit en exil, poursuivis ou inquiétés pour enrichissement illicite et détournent de deniers publics, parfois dans des dossiers qui datent de plusieurs décennies… Plus près de nous, au Sénégal, on peut relever « l’affaire des Chantiers de Thiès » qui a valu à l’ancien Premier ministre Idrissa Seck un séjour carcéral, l’incarcération de Khalifa Sall ou de Karim Wade et, actuellement, la chape de plomb qui s’est abattue sur les partisans de l’ex-Président Macky Sall (son beau-frère Mansour Faye, son ami Farba Ngom, l’homme d’affaires Tahirou Sarr sont en prison alors que certains de ses ministres sont sous contrôle judiciaire ou sous « bracelet électronique »…).
C’est dire qu’en Mauritanie, au-delà de tout débat sur l’indépendance de la justice, la question de procès équitable dans « le dossier Aziz » est difficile à trancher de façon définitive, tant l’affaire est estimée polluée par ses relents politiques mais aussi par l’inégalité de traitement entre les accusés (la Commission d’Enquête Parlementaire – CEP – avait indexé environ 300 personnes, mais au final, presque seul l’ex-Président et quelques proches ont eu à avoir maille avec la… Cour). Ce qui suscite assez de questions.
Après le prononcé du verdict, avez-vous eu le sentiment que le procès dit de la décennie aura un effet dissuasif pour tous les responsables tentés de puiser dans les caisses de l’Etat ? L’arsenal juridique dont dispose le pays pour lutter contre la corruption est-il suffisamment dissuasif ?
Nous espérons que oui ! En tout cas, ce procès a eu le mérite de rappeler à ceux qui gèrent les biens communs qu’ils ne doivent pas en disposer à leur guise. Ce procès constitue un coup de sommation à tous ceux qui sont tentés de confondre les caisses de l’Etat à leurs poches, au point que, par leurs actes irresponsables, ils appauvrissent le pays et hypothèquent l’avenir de tout un peuple. Nous disons donc que l’espoir est permis mais sans préjuger de rien, tant l’homo mauritanicus est incernable quand il s’agit de l’argent avec lequel – hélas – il a une très mauvaise relation…
C’est dire qu’il faut être prudent et vigilant car le problème de la Mauritanie, dans presque tous les domaines de droit, ce n’est pas tant le manque – ou même l’inefficience – de textes mais plutôt le fossé qui sépare le formalisme du corpus juridique et la réalité sur le terrain.
Nous rappelons, à ce titre, que l’arsenal juridique, comme vous dites, est assez suffisant. D’abord, sur l’angle du droit divin, il est interdit de s’accaparer d’un bien qui ne nous appartient pas. Et d’un autre côté, la Mauritanie dispose d’au moins trois lois assez dissuasives. Il s’agit du Code pénal, de la loi n°2016-014 du 15 Avril 2016 relative à la lutte contre la corruption et la loi n°2019-017 du 20 Février 2019 relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, qui annule et abroge toutes dispositions antérieures, notamment la loi n°2005-848 relative à la lutte contre le blanchiment de l’argent et le financement du terrorisme.
A côté de ces textes, il y en a d’autres sur les marchés publics ainsi que des lois et des Instructions de la BCM sur la transparence, la bonne gouvernance et les mesures de prudence des établissements de crédits (banques) ou établissements de financement…
Les avocats de la défense ont annoncé leur intention de faire appel de nouveau. Est-ce à dire que la bataille est loin d’être terminée ? D’ici-là, l’ancien Président restera-t-il toujours en prison ?
Les avocats de la défense ne vont pas interjeter appel mais plutôt se pourvoir en cassation, car le procès en appel a déjà rendu son verdict, celui du 14 Mai 2025 ayant condamné l’ex-Président Aziz à 15 ans de prison.
Bien entendu, une fois que la défense se pourvoit en cassation, c’est une autre bataille qui s’engage et cette bataille ne sera terminée que quand la décision d’appel est confirmée. Mais si la décision de la Cour d’appel est infirmée (c’est-à-dire « cassée »), on pourrait dire que le dossier « n’est pas sorti de l’auberge ».
Ici, il revient aux avocats de l’ex-Président Aziz de fournir de nouveaux éléments pouvant convaincre l’instance supérieure que la décision de la Cour d’appel n’est pas fondée. Si ces avocats sont suivis par la Cour, cette dernière infirme donc la décision et l’affaire est renvoyée devant une autre Cour d’appel autrement composée.
Enfin, en attendant la décision de la Cour suprême, l’ex-Président reste en prison.
Toujours dans le cadre de la transparence dans la gestion des deniers publics, l’Assemblée nationale a adopté un texte sur la corruption et la déclaration de patrimoine qui concerne désormais les députés. Qu’en pensez-vous ?
Nous pensons que l’adoption de cette loi est une bonne chose. La transparence et le respect de la bonne morale doivent être l’apanage de tous les citoyens, à commencer par la Représentation nationale. Il serait aberrant et tout aussi incongru que le glaive de la justice ne tombe sans coup férir que sur le cou des citoyens-lambda alors qu’il épargne celui de ceux qui réglementent la cité…
La loi est impersonnelle, elle est faite et doit être appliquée à tout le monde.
L’exemple, en matière de probité, commence par le haut, étant entendu que le poisson pourrit par la tête.
Propos recueillis par Daly Lam
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