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un grain de sable pour secouer la poussière...

La mort d’une princesse

Mardi 23 Octobre 2018 - 11:39

La mort d’une princesse
Encore ce problème gênant et douloureux de définir où finit l’humain et où commence l’animal.
Mon cœur et moi, sautâmes de la Toyota, en même temps.
Je l’ai tout de suite aperçue. Elle était à l’ombre du grand  arbre. Toujours aussi belle. Ses grands yeux, fendus à la princesse indienne, cernés de noir, un peu fatigués par la dureté de cette épreuve terrible, me fixaient, rieurs, comme toujours. Elle semblait m’attendre depuis une éternité. Nos yeux se croisèrent, comme d’habitude, dans une complicité, que Seul ,le Seigneur des mondes pouvait comprendre.

La dernier coup de téléphone, à l’autre bout du monde, m’apprit que la situation empirait et que Khazzara était mourante. Elle n’était pas la seule, mais elle différait du reste.
La voix grave du chanteur marocain Abd Al Wahhab Dukkali, qui continuait à couler dans la voiture, comme un interminable ruban de drame, : « Kaan ya Makkaan… », pleurait dans mon âme, comme une pluie de tristesse.
Il était une fois…très loin…nous nous embrassâmes.
La vache !!! comme il est difficile et nécessaire de te tenir dans mes bras. Quand tu étais petite, l’opération était plus facile…

A mon âge !!!! j’avais le cœur gros, je suffoquais et je me sentais ridicule.
Chaque jour dans les abattoirs du monde, des vaches sont charcutées sans ménagement ;  Parfois dans la violence gratuite de ceux qui méprisent tout ce qui n’est pas de leur genre.
Elle fille de sa mère, elle-même fille de Khazzara 2, ainée de Khazzara première a nourrit les enfants de ce village, de longue années durant.
Quand feu Mohamed El Houssein me vendit la mère de cette espèce unique, il n’y avait pas l’ombre d’un bovidé dans cet espace.

Khazzara la grande, comme nous aimions l’appeler et ses filles après elles, avaient une habitude,  restée gravée dans la mémoire collective des villageois :

Au crépuscule, elle  s’arrêtait toujours à l’orée des tentes et  poussait trois puissants meuglements graves et prolongés, qui étaient devenus avec le temps le son du cor qui annonçait le bonheur et calmait les pleurs des enfants affamés.
Nous achetâmes ensuite plusieurs autres espèces, mais les Khazzara gardèrent cette noblesse exclusive et cet altruisme laitier, qui les rattachaient aux nerfs de la bienfaisance.
La petite entre mes bras était née avec une étoile blanche ornant son front ;ce qui a failli lui faire perdre le nom de famille,  car les enfants l’appelaient « nejma » (l’étoile).
Toute petite encore, elle aimait jouer avec les petits. Elle était légère, comme une vision. Un spectre qui inspirait la joie et la confiance.  

Un fervent applaudisseurs automatique, m’avait assuré sur un commentaire de Cridem, que le gouvernement avait « débloqué » seize milliards d’ouguiyas, pour le secours du cheptel et des populations. Ce qui assurait une couverture alimentaire pour hommes et bêtes de quelques mois, voire quelque années.
Mais les mensonges ne sont pas comestibles. Ils ne peuvent ni calmer la faim, ni étancher la soif.
Pas très rassuré, sur la mobilité et l’agilité du développement rural, j’ai continué les efforts à partir de l’autre continent pour que la princesse et son troupeau, continuent à s’alimenter. Je savais qu’elle bravait une sècheresse sordide… la faim et la mort.

Mais qui peut remplir la panse d’un bovidé à part son Créateur ?

La crevasse mensonge-propagande-crapuleuse, faisait que tous les efforts mourraient en cours de chemin.
Du transfert de l’argent, à l’achat du « rakkal », devenu or, au trajet incertain des taxis-brousse, la princesse et son troupeau se décimait en silence.
Elle se mourait sur cette terre, l’une de ses Barakas discrètes. En toute inconscience.
Un groupe d’enfants s’étaient formé autour de moi. Contrairement à leur habitude, ils étaient silencieux et considéraient gravement le tableau pathétique du départ de la princesse.
Elle avait le flanc posé sur mes jambes et s’apprêtait dignement à dormir pour l’éternité.
Je me demandait silencieusement si tous les trésors du monde, pouvaient contrecarrer le travail inexorable de l’ange de la mort.
Astaqviroullah !!!!

Je sentais que quelque chose de sublime et d’extrêmement cher étaient en train de me glisser entre les doigts. La sensation d’impuissance totale pesa de tout son poids sur mon cerveau. Les forces invisibles du néant me ravissait une tranche vivante de mon âme et de mon histoire. Je ne pouvais absolument rien. Et c’est ce rien bruyant et douloureux qui me collait dans la gorge et bloquait ma respiration.
Je me souviens soudain des paroles du prophète (psl) : « Celui dont la dernière parole dans ce monde clame l’unicité de Dieu, ira au Paradis. ».
« La-ilaha-illa-llah, murmurais-je ». De ma bouche, pour le salut de Khazzara.

Je ne doutais pas un seul instant que les jeunes vaches allaient aussi au Paradis. Il ne pouvait en être autrement.
cette vache a donné la vie, en partageant le lait de son petit avec le petit de l’homme, au moment où les hommes distribuaient la mort et la désolation., Les hommes ! Ces égoïstes ces félons qui ont dénaturé l’équilibre du partage et le partage des équilibres.
 Quelle logique peut compenser le crime et condamner la bienfaisance ?
Dans cette région de carence, et de famines successives, mes Khazzaras, ont fait beaucoup plus que les hommes.
Je la revoyais encore, il y a quelques années. Sa robe tachetée, mouchetée se faufilant gracieusement entre les hautes herbes. Son élégance et son agilité réchauffaient les âmes et distrayaient les yeux.
Khazzara fille de Bezoul distribuait le bonheur par sa seule apparition vaniteuse et nonchalante entre les tentes de la Chamama.

Les cornes en croissant et la croupe lisse, elle se déhanchait sans modestie aucune, comme pour nous dire, qu’elle n’avait besoin d’aucun berger pour être fidèle au village.
Soudain, comme exacerbée par la trahison de cette année qui l’a négligée à tel point, elle rendit l’âme, sans grande transition.
Que Dieu la prenne sous Sa vaste miséricorde.
Les yeux embués de larmes, je me laissais tomber sur l’étoile éclatante, qui ornait son front. Une étoile qui, déjà se dissipait douloureusement dans l’éternité.
J’essayais de lui communiquer un peu de la chaleur de vie qui coulait en moi, mais les frontières sont fermées définitivement entre nous.
Les yeux hagards, incapable de la moindre pensée, je ne pouvais plus que mesurer l’absurdité tyrannique de cette vie.
La fin brusque et brutale d’un tableau qui m’était si cher.

Elle appartenait désormais au monde du néant et je suis resté dans cette  vallée de larmes et de douleur.
La mort me l’a ravie avec les négligences du ministère du développement rural, du gouvernement, de ceux qui disent des mensonges de seize milliards, pour couvrir les catastrophes de troupeau qu’on pouvait sauver par quelques grammes de prévision et quelques millimètres de conscience.
Mais plus fort que la mort, plus fort que le néant, plus tenace que le temps qui fuit, le souvenir d’une jeune demoiselle vache, vachement belle et gentille restera en moi, tant que les filles de mes pensées, auront la capacité de rejouer les moments les plus sublimes de ce qui fut.
Car si une femme allaitait un enfant, Khazzara en nourrissait une vingtaine ou plus.
Encore quelques pelletées de terre, pour protéger la dépouille de ma princesse. Je sais que les nuits suivantes, je veillerai carabine à la main, pour que les chacals ne souillent les restes de ma princesse.
Le cimetière des vaches avait dorénavant une signification pour moi… un peu comme une parenté gênante et cupide, qui prend et ne donne rien en retour.

Je sentais comme si elle sentait encore… j’avais froid.
Koweït…Nouakchott. Qui est où ? et où est qui ?
Quel monde et quel dissolution continuelle dans la continuité du néant !
Mon Dieu Khazzara est chez Toi ! Tu es Le seul à décider et à comprendre.
Phénomène curieux. Les premières gouttes de pluie tombèrent avec les premières pelletées de sable sur la fosse où poussera de l’autre côté, cette fleur de la bienfaisance.
Je sentais comme si le ciel pleurait à chaude larmes, la princesse de « Djeydjouguel », partie à jamais.

Mohamed Hanefi. Bezoul aout 2018.
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