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La Constitution mauritanienne ne prévoit qu’un second mandat présidentiel /Par Hamedi CAMARA-Doctorant en droit public à l’Université Paris-Saclay

Jeudi 9 Mai 2024 - 00:01

La Constitution mauritanienne ne prévoit qu’un second mandat présidentiel /Par  Hamedi CAMARA-Doctorant en droit public à l’Université Paris-Saclay

Les révisions constitutionnelles s’inscrivent généralement dans des contextes particuliers. Elles ne sont jamais des opérations simples ou désintéressées. Elles visent à répondre à des objectifs spécifiques, et leur écriture n’est jamais parfaite. La loi constitutionnelle n° 2006 – 014 portant rétablissement de la Constitution du 20 juillet 1991 comme Constitution de l’Etat et modifiant certaines de ses dispositions adoptée par référendum le 25 juin 2006 sur proposition du Comité militaire pour la justice et la démocratie (CMJD) ne déroge pas à cette loi d’airain.
 

Cette révision sans précédent adoptée en réaction aux vingt-et-un ans de pouvoir du Président déposé par coup d’État, Maaouiya Ould Sid'Ahmed Taya a opéré un bouleversement profond dans l’architecture constitutionnelle mauritanienne. Elle a introduit pas moins de cinq articles nouveaux relatifs au président de la République qui traduisent une volonté de « dépatrimonialiser » le pouvoir politique, voire « une rupture totale avec un système devenu complètement obsolète, complètement dépassé, complètement fossilisé et qui ne pouvait offrir aucune perspective pour la Mauritanie » pour reprendre les mots d’Ely ould Mohamed Vall Rahimahoullah, président du CMJD.
 

Ainsi, la durée et le nombre des mandats présidentiels ont été au cœur du projet de révision proposé le CMJD. L’article 26 nouveau issu de la révision constitutionnelle de 2006 prévoit que « la durée du mandat du président de la République est de cinq ans ». Partant pour mieux encadrer la fonction présidentielle, l’article 28 nouveau prévoit que « le président de la République est rééligible une seule fois ». Cependant, la « texture ouverte » de ce dernier pour reprendre le mot de Hart peut interroger. Ce dernier vise-t-il uniquement le Président en exercice, ou toute personne ayant exercé la fonction présidentielle ? En clair, dans la mesure où il apporte une limitation dans les mandats présidentiels, un ancien président de la République peut-il occuper après deux mandats, peu importe qu’ils soient successifs ou non, à nouveau la fonction présidentielle ? 
 

priori, la clarté de l’article 28 tout comme sa lecture littérale inclinent à penser que le président de la République élu une première fois, puis une deuxième fois peut à la suite d’une interruption à la tête de l’Etat à nouveau être éligible, dans la mesure où, seule est visée la rééligibilité du « président de la République », c’est-à-dire, celle de celui qui est en fonction. Dans cette perspective, la seule limite à la rééligibilité d’un ancien Président réside dans l’occupation de la fonction présidentielle au moment de sa troisième candidature. Il suffit pour s’en persuader de rappeler que la constitution béninoise évite toute difficulté d’interprétation en précisant en son article 42 que « Le président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans, renouvelable une seule fois ». Et, pour mieux enfoncer le clou, le second alinéa de l’article précité prévoit que « Nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels ». Un raisonnement a contrario conduit à penser que dans le cas mauritanien, la limitation des mandats présidentiels ne vise que les mandats consécutifs. Si, autre avait été l’intention du constituant mauritanien, il aurait adopté la formule béninoise ou à tout le moins une formule voisine. 
 

En réalité, la clarté de l’article 28 nouveau n’est qu’apparente. En droit, rien n’est réellement clair. Rien n’est évident. Tout est relatif. La clarté est un argument d’autorité et non de raison. En effet, malgré les apparences, aucun critère ne permet de constater la clarté d’une disposition juridique. La clarté est toujours le résultat d’une opération d’interprétation purement subjective. C’est toujours l’interprète qui identifie ce qui est clair, ou ce qui ne l’est pas. Ainsi, il n’existe pas de sens clair mais uniquement un sens clarifié par l’interprète. D’ailleurs, comme le relève Charles de Visscher, « un langage clair n'est pas toujours garant de la clarté des idées ». A preuve, l’article 28 peut renvoyer, soit au titulaire de la fonction. Soit, à toute personne ayant déjà exercé la fonction. 
 

Par ailleurs, si la lecture littérale d’une disposition constitutionnelle était suffisante, cela rendrait nécessairement superflu le travail d’interprétation qui matérialise le passage de l’abstrait au concret. On n’aurait en conséquence plus besoin de juristes ou de juges formés pour interpréter et appliquer les dispositions juridiques. Chacun pour s’ériger en spécialiste de la norme fondamentale.

Trop insister sur le sens littéral de l’article 28 nouveau qui conduit à dissocier de manière purement artificielle le citoyen-candidat du président de la République aboutit in fine à un résultat absurde en contradiction avec l’objet de la limitation des mandats présidentiels. Il suffit pour s’en persuader de rappeler que l’article 28 nouveau a été adopté en réaction à la trop longue durée au sommet de l’Etat du Président Taya (vingt-et-un ans entre 1984 et 2005). En conséquence, l’objectif poursuivi par la révision constitutionnelle de 2006 était d’éviter qu’une telle situation ne se reproduise. Or, la lecture littérale de l’article 28 conduit nécessairement à permettre à tout citoyen mauritanien d’être élu et réélu pour dix ans président de la République et ensuite d’exercer à nouveau la fonction après une interruption pour durer autant de temps. Soit, au minimum vingt ans au pouvoir, à peu près comme le Président Taya ! Ce résultat manifestement déraisonnable plonge le principe de la limitation des mandats dans l’apesanteur juridique.
 

Ainsi, on le voit, le sens de l’article 28 nouveau est plus complexe que ce que laisse supposer son apparence, et en définitive, sans doute, quelque peu différent. Son sens ne peut être cerné de manière littérale car les dispositions constitutionnelles ne sont jamais littérales. C’est en conséquence au regard des finalités poursuivies par l’article 28 nouveau, que celui-ci doit être interprété. 

 

I. Le texte de la Constitution limite strictement les mandats présidentiels au nombre de deux 

La clarté d’une disposition constitutionnelle est tributaire en premier lieu de la détermination de son objet et de son but. Il convient en conséquence de déterminer l’objet et le but de l’article 28 de la Constitution pour en clarifier le sens. L’objet et le but renvoient à la raison d’être d’une disposition juridique. En principe, pour les projets de loi, c’est l’exposé des motifs qui précise de manière sommaire les raisons pour lesquelles un texte est proposé/adopté. Pour ce qu’il en est de la Loi Constitutionnelle n° 2006 – 014 portant rétablissement de la Constitution du 20 juillet 1991 comme Constitution de l’Etat et modifiant certaines de ses dispositions c’est dans le rapport de la Commission ministérielle ad hoc chargée de rédiger la réforme proposée par le CMJD qu’il faut se tourner pour déterminer la raison d’être de l’article 28 nouveau. En effet, la rédaction du projet de réforme de la Constitution a été confiée par le CMJD à un organe ad hoc dont les travaux furent entérinés par l'ensemble des forces politiques et des mouvements de la société civile du pays à l’issue des Journées nationales de concertation, organisées en octobre 2005.
 

Il ressort du rapport de l’organe ad hoc que la motivation profonde à l’origine de l’insertion de l’article 28 nouveau plonge ses racines dans la volonté de garantir les conditions de l’alternance démocratique au sommet de l’Etat par l’introduction d’une clause relative à limitation des mandats présidentiels. Il ne s’agissait pas de réaliser l’alternance mais de garantir que les conditions de sa réalisation puissent être réunies.
 

Dans ces conditions, permettre à un ancien président de la République élu par deux fois de se représenter une troisième fois conduirait nécessairement à priver de tout effet utile le non renouvellement du mandat prévu à l’article 28 nouveau. Par exemple, il suffirait à un Président en exercice au cours de son second mandat de démissionner pour se présenter à nouveau et ainsi bloquer toute garantie d’alternance. L’opération pourrait se matérialiser sans fin. Or, c’est parce que nul n’est irremplaçable que la clause de limitation des mandats a été introduite.
 

Sous un autre rapport, le recours au droit comparé africain permet également de soutenir que le mandat présidentiel n’est renouvelable qu’une seule fois. En effet, à l’image de la constitution mauritanienne, celle de la Côte d’Ivoire prévoit en son article 55 que « le Président de la République est élu pour cinq ans au suffrage universel direct. Il n’est rééligible qu’une fois». Dans cette perspective, le Président ivoirien Alassane Dramane Ouattara, élu en 2010 puis réélu en 2015 ne pouvait en toute logique se représenter à l’élection présidentielle du 31 octobre 2020. Cependant, l’argument invoqué par ce dernier pour échapper à la limitation des mandats – quoique fort contestable à notre sens – résidait dans le fait que la constitution sous l’empire de laquelle était organisée l’élection présidentielle de 2020 était entrée en vigueur en 2016 et ne couvrait donc pas les deux mandats présidentiels acquis sous l’empire de la constitution précédente. En recourant au principe de la non-rétroactivité des lois, pour échapper à l’impossibilité de se représenter, le Président Ouattara admettait ainsi l’impossibilité pour lui de se représenter au regard de l’article 55 de la constitution ivoirienne dont la formulation est identique à celle de l’article 28 nouveau de la constitution mauritanienne.
 

Cependant, à la différence du cas ivoirien, le constituant mauritanien de 2006 n’a pas fait les choses à moitié. Dans le prolongement de la limitation stricte à deux des mandats présidentiels, il a pris le soin de sanctuariser l’intangibilité de cette limitation par une clause d’éternité introduite à l’article 99 de la Constitution, elle-même couverte par un serment prévu à l’article 29 de la Constitution pour anticiper toute velléité de captation de la fonction présidentielle (sur la révision de l’article 28 voy. le brillant hommage du professeur Mohamed Mahmoud Salah à feu Ahmed Salem ould Boubout Rahimehoullah). 
 

Ainsi, même le contexte, c’est-à-dire la Constitution dans son intégralité confirme la stricte limitation des mandats à deux. Il eut en effet été superflu de prévoir une limitation des mandats présidentiels, de verrouiller la révision de cette limitation et de la couvrir par-dessus tout par un serment pour ensuite permettre à un ancien Président ayant exercé la fonction par deux fois d’être à nouveau candidat. D’ailleurs, l’introduction de la limite d’âge à soixante-quinze ans prévue à l’article 26 nouveau de la constitution participe de cette même intention.
 

Le constituant mauritanien est ainsi allé très loin dans l’introduction des verrous pour prévenir les tentatives de pérennisation présidentielle. En effet, contrairement à certaines constitutions africaines destinées à garantir le maintien en place du Président en exercice (sur les révisions constitutionnelles destinées à contourner la limitation des mandats présidentiels voy. Ahmed Salem ould Bouboutt, L’Union africaine et les changements anticonstitutionnels de gouvernement. Libres propos sur certains aspects de Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance du 30 janvier 2007 in Mél. Babacar Kanté), la constitution mauritanienne vise fermement à exclure une telle situation.

Il n’est pas superfétatoire de souligner que les travaux préparatoires à la révision constitutionnelle de 2006 confirment également la limitation stricte du nombre des mandats présidentiels à deux.

 

II. Les travaux préparatoires confirment la limitation du nombre de mandats présidentiels à deux indépendamment de leur caractère successif ou non

Les travaux préparatoires au sens large renvoient à l’ensemble du processus ayant conduit à l’adoption définitive d’une norme et permettant de mieux comprendre l’interprétation de celle-ci. Nous serons brefs sur ce point, car l’utilisation de ces derniers peut conduire à faire dire tout et son contraire à une norme juridique. Il n’en demeure pas moins qu’ils peuvent aussi éclairer l’intention du constituant et le sens à donner à la norme à interpréter. 
 

Il ressort du rapport du comité interministériel ad hoc chargé de rédiger la réforme constitutionnelle que l’introduction de l’article de l’article 28 nouveau était destiné à « empêcher tout candidat élu de pouvoir exercer plus de deux mandats successifs ou non ». Il s’agissait ainsi clairement pour les rédacteurs de l’article 28 de la Constitution d’éviter qu’un Président reste au pouvoir plus de dix ans. Dans une démocratie mauritanienne aussi fragile que balbutiante minée par les putschs à répétition, l’objectif était de permettre un renouvellement de la classe politique dirigeante par le non renouvellement du mandat présidentiel dans la mesure où l’institution présidentielle dans ce régime présidentialiste est à l’origine de tout.
 

En définitive, que les mandats présidentiels soient successifs ou non, un citoyen mauritanien ne peut en exercer que deux. Par la formule, « le Président de la République », l’article 28 nouveau ne vise pas exclusivement le Président en exercice mais toute personne ayant exercé la fonction. Il en résulte que la constitution mauritanienne ne prévoit pas de deuxième mandat ; elle n’en prévoit qu’un second. Il revient en tout état de cause au Conseil constitutionnel conformément à l’article 26 nouveau de la constitution de statuer sur la régularité des dossiers de candidature, et de fournir le cas échéant l’interprétation qui s’imposera à tous.


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